INCENDIES, est l’adaptation de la pièce de Wajdi Mouawad, québécois d’origine libanaise, par Denis Villeneuve, autre québécois. Evitant l’écueil du théâtre filmé, la caméra voyage pendant une bonne partie du film, montrant les horreurs d’un pays moyen oriental déchiré par la guerre entre les communautés chrétienne et musulmanes (locale et palestinienne), avec son lot d’exactions réciproques. Si le pays n’est jamais cité, il fait penser au Liban et par extension à l’Irak, la Syrie, l’Afghanistan, le Yémen mais aussi à tout autre conflit. Ici la guerre est réaliste, donc moche, montrant les horreurs jugées nécessaires par ceux qui les infligent et arbitraires pour ceux qui les subissent. D’une précision souvent chirurgicale (la scène du car en particulier), ces séquences amènent le besoin que ça cesse, tout en questionnant sur les problèmes identitaires. Au fur et à mesure d’un récit qui ne prend jamais parti, les certitudes morales du spectateur s’affaiblissent et le doute s’installe. C’est en jouant la carte de l’émotion que Villeneuve arrive à dépasser la réflexion pour mieux nous impliquer dans ce désastre humanitaire et moral, réussissant ainsi là où « Le faussaire » de Volker Schlöndorff échouait par une démarche trop cérébrale (même filmée à Beyrouth en 1981, donc en plein conflit).
« Il sera question de problèmes insolubles qui vous mèneront à d’autres problèmes tout aussi insolubles ». En remplaçant « problèmes » par « tragédies » dans l’introduction du professeur de Jane Marwan, son assistante, aux étudiants de l’amphithéâtre, la base même de l’histoire est résumée. Jane exposera pour son premier cours la conjecture de Syracuse, dont la fin de la suite du même nom dévoilera la tragédie
du mythe d’Œdipe revisité
. Cette construction subtile sera quelque peu ternie par un final
optimiste qui sonne assez faux
(mal amené ?), en contradiction avec le mot « insolubles » de la phrase citée plus haut.
Ce film choc, est le quatrième long métrage de Denis Villeneuve. Il révèle déjà une direction d’acteur très précise, qui est devenue une des caractéristiques stylistique du cinéaste. Dans une distribution cohérente jusque dans des petits rôles, Lubna Azabal (Nawal Marwan) offre une prestation superlative, illustrée par la magnifique photographie d’André Turpin, dont la justesse est parfois atténuée par des choix musicaux agaçants (Radio Head). Malgré ces quelques réserves, INCENDIES est un grand film dont personne ne sort indemne.