160 000 Sahraouis nomades vivent aujourd'hui dans des camps de réfugiés, puisque le territoire qu'ils revendiquent a été occupé initialement par les Espagnols (jusqu’en 1976), puis repris par la Mauritanie (jusqu’en 1979) et actuellement par le Maroc. Malgré une décision de la Court Internationale de Justice en faveur des nomades, leur territoire est toujours occupé. L'armée marocaine a d'ailleurs construit un mur traversant les terres, une démarcation sous haute surveillance qui permet aux Marocains d'occuper cette partie du territoire. Un cessez-le-feu a été instauré en 1991, évitant les hostilités, mais empêchant également toute nouvelle discussion sur la distribution de terres entre les parties concernées.
Pierre-Yves Vandeweerd s'est spécialisé non seulement dans une forme de cinéma documentaire aux contours très réalistes, mais surtout dans la thématique africaine. Ses films précédents ont presque tous été tournés dans ce continent : Nemadis, des années sans nouvelles (2000), Racines Lointaines (2002) et Le Cercle des noyés (2007) en Mauritanie, Les Dormants (2008) et Territoire Perdu (2011) au Sahara occidental et Closed District (2004) au Soudan.
Territoire Perdu constitue le dernier volet d'une trilogie documentaire ancrée sur la réalité africaine et sur une "poétique de l'humain", selon Jacqueline Aubenas, une spécialiste et enseignante de cinéma. Les deux premiers volets sont, respectivement, Le Cercle des noyés (2007) et Les Dormants (2008).
Hésitant au départ sur le format de captation d'images qu'il utiliserait dans Territoire Perdu, Pierre-Yves Vandeweerd a opté pour l'utilisation du Super 8, une pellicule très peu utilisée dans le cinéma commercial contemporain, mais dont les tremblements donnent l'impression qu'il s'agit d'une image plus proche du réel que l'est le numérique, par exemple.
Alors que la plupart des documentaristes enregistrent des dizaines, voire des centaines d'heures d'images pour arriver à la version finale du film, Pierre-Yves Vandeweerd n'avait que quelques heures d'images enregistrées après deux semaines de voyage en Afrique. Cette concision correspond à une méthode choisie dès le départ du projet, afin d'aller à l'essentiel.
Après avoir enregistré les sons des vents typiques du désert saharien, le cinéaste a décidé de reproduire ces sons avec des enceintes à l'intérieur de grottes et d'autres cavités en Lozère (France), obtenant de ce deuxième son l'atmosphère sonore voulue, afin d'"évoquer un univers mental" et de permettre au son de "devenir une forme de pensée, celle qui naît de la solitude et de l’oubli."
Le cinéaste belge Pierre-Yves Vandeweerd a suivi un parcours interdisciplinaire très varié : après des études en communication et journalisme, il a enseigné la philosophie à l'université et a fait des études d'anthropologie et de civilisation africaine. Depuis, il participe à l'organisation de festivals de cinéma, à la rédaction d'ouvrages scientifiques et à des rencontres annuelles d'écriture et de réalisation documentaire.
Le projet de Territoire Perdu est né en 2008. A ce moment-là, en préparant des repérages des deux côtés du mur qui sépare le Sahara, le réalisateur avait l'intention de recréer en images l'histoire du Sahara occidental. Cependant, lorsqu'il a rencontré les réfugiés du territoire sous contrôle du POLISARIO (Front de Libération du Sahara occidental), il a décidé de se concentrer exclusivement sur les puissants témoignages issus de ses rencontres.
Bien que la démarche de Territoire Perdu soit ouvertement militante, Pierre-Yves Vandeweerd tenait à ce que l'intérêt du spectateur surgisse autant de la construction en images que du thème choisi, ou selon ses propres mots, que "la force d’un film réside dans sa capacité à sublimer par l’esthétique le propos et à octroyer au spectateur une place à partir de laquelle il pourra se mouvoir en pensée."
En reprenant la division de Julien Gracq, Pierre-Yves Vandeweerd voulait rompre avec l'idée selon laquelle "il y a deux manières de regarder : à la façon du presbyte qui se met à distance pour regarder ou à la façon du myope qui doit se rapprocher pour voir plus clairement." Le cinéaste souhaitait que Territoire Perdu s'inscrive entre ces deux regards, dans la relation dynamique qui unit les Sahraouis au territoire qui les entoure.