D’habitude, la perspective d’une critique essentiellement négative me rebute. Le monologue final d’Anton Ego dans Ratatouille (2007) m’y a convertie. Mais là, non, ce n’est pas possible.
Un sujet taillé sur mesure pour le cinéma dardennien : une femme ouvrière dépressive, Sandra (Marion Cotillard, d’une justesse indubitable), un week-end pour convaincre ses seize collègues de préférer sa réembauche à leur prime. Top chrono.
Dès les premières secondes, la caméra à l’épaule heurte l’œil, après un interminable plan sur Marion Cotillard, réveillée par le hors-champ du téléphone dans le « réel ». Un réel agressif, presque une sorte d’entité vivante qui semble lui en vouloir, tout au long du film. Ce côté « reportage » annonce d’emblée l’exténuante recherche de « l’authentique », traqué de bout en bout dans ce personnage fragile, prisonnier de ses répliques répétées à chaque nouvelle visite avant un dénouement prévisible : huit voix pour – huit voix contre. Un choix à faire, un chiffre pair : si quelqu’un a été surpris, qu’il se dénonce immédiatement. Ce choix supposé cornélien, apparaît comme une évidence: les personnages préférant leur prime à la sauvegarde de Sandra sont tous présentés comme profondément antipathiques, et si ce n’est eux, leurs conjoints. Lâcheté (celle qui essaie de faire croire à son absence), agressivité (le « petit jeune » qui évoque le mérite de son argent et menace de frapper), absence de compassion (l’épouse de celui qui a besoin de la prime pour payer les études de sa fille): même s’ils ont des motifs des plus défendables, ils ne sont absolument pas mis en scène de manière objective. Il faut s’y faire : avoir besoin d’argent, c’est mal.
Sandra de son côté, bénéficie d’une affection soutenue des réalisateurs, qui biaise complètement le déroulement du film. Elle se présente comme une nouvelle sorte de Sainte, préférant le chômage final au « vol » d’un emploi – terme discutable quand on voit le raisonnement du patron: il ne lui cache rien, alors qu’il pourrait lui mentir. Elle conclut certaines de ses tirades ou de ses silences par des phrases qui frôlent l’intellectualisme gratuit : « On s’est bien battus hein ? Je suis heureuse. » – « J’aimerai bien être à sa place […] L’oiseau qui chante là-haut. » Une « simplicité » préfabriquée qui hurle au spectateur ce qu’on attend de lui : « ah, que c’est beau. »
[...]
La suite vous tente ? Passez devant, c'est par ici.