Les frères Dardenne, cinéastes aussi prolifiques qu’engagés, ersatz belge d’un Ken Loach pour le Royaume-Uni, prennent sous leurs ailes d’expérimentés la vedette française Marion Cotillard pour mettre en scène un drame social pour le moins intimiste. Tout est dans le synopsis, ou presque. Il est donc question ici de licenciement, disons abusif, dans une Europe industrialisée en forte récession. Une femme, employée quelconque d’une société de fabrique de panneaux solaire, est mise à la porte au profit de l’octroi de primes en faveur des ouvriers restants. Mais ce postulat cruel découle d’un vote, remis en question le temps d’un week-end. La dame ira prospecter parmi ses collègues en vue de faire basculer la situation à son avantage. Les frères Dardenne posent donc une question existentielle dans le milieu du travail contemporain. Préfère-t-on le sacrifice de l’un de nos collègues en vue de toucher une prime ou la solidarité entre collègues?
Marion Cotillard est dès lors la clef de voute d’un film quasi documentaire, un film aussi socialement important que peuvent l’être les chroniques engagées du toujours le même Ken Loach. La comparaison est bien sûr inévitable. La Belgique n’est en rien un théâtre unique à ce type de situations désastreuses pour l’individu. Dès lors, Deux jours, une nuit, s’adresse clairement à un très large panel de citoyen divers. Pour peu que l’on s’y intéresse, les échanges sincères entres les différents intervenants et le personnage de Sandra sont d’une rare authenticité, d’une très rare tension. Dirons-t-ils oui ou non? Comment réagiront les appelés au sacrifice personnel au profit de la condescendance réclamée? En somme, si les séquences se suivent et se ressemblent cruellement, du moins pour le personnage principal, chacune d’elle est croustillante de vérité mais aussi de suspens.
On se pose alors incessamment la question. Les âmes seront-elles charitables? L’égoïsme latent d’une société de consommation telle que la nôtre va-t-il sacrifier Sandra sur l’autel de l’enrichissement personnel. Peu importe la conclusion, la question est pertinente et le traitement de celle-ci par les frères Dardenne hautement captivant. En parlant plus haut de Marion Cotillard comme d’une clef de voute au métrage, j’entendais par-là l’excellence de la comédienne, parfois décriée pour son jeu passif. Ici, loin des grosses productions anglo-saxonnes dans lesquelles elle s’est illustrée depuis quelques années, l’actrice endosse son rôle de femme démunie et dépressive avec une toute grande classe. Soyons honnête, l’accent belge en prime, celle-ci est tout simplement admirable car ayant délaissé pour l’occasion son statut de célébrité pour devenir une femme telle que l’on pourrait en connaître.
Malgré toute les louages scénaristiques ou sociale que l’on pourrait adresser à Deux jours, une nuit, il n’en reste pas moins que le film de frères Dardenne, au même titre que l’ensemble de leur filmographie, n’est pas un exercice de cinéma tel que peuvent le concevoir le public lambda. Ici, pas d’artifices de mise en scène, pas de bande originale, aucune innovation dans la photographie ou la manière de cadrer les personnages. Les plans fixes s’enchaînent et le film ne sort jamais du cadre du strict scénario qu’il développe. En soi, si le thème est touchant, si le sujet questionne, un tel cinéma ne s’adresse qu’à ceux qui veulent bien s’y frotter, à ceux qui ne veulent pas nécessairement se divertir mais simplement se questionner. Un tel cinéma est certes nécessaire pour la survie des productions indépendantes, européennes ou américaines, mais blesse les égaux d’avantage qu’il ne les flatte. Et de cela, le public moyen n’est pas friand. 16/20