On avait quitté Jeff Nichols en 2013 avec Mud, conte noir qui mettait en scène deux ados face à un idéaliste martyrisé. Trois ans plus tard, le texan revient et s’essaie à la SF, reprenant la thématique qu’il avait entamée dans Take Shalter : la séparation entre un fils et ses parents. Le résultat ici est assez fascinant, malgré le manque de détails…
On a donc affaire à une véritable course-poursuite imbriquée en un thriller hypnotisant : Roy entame un périple avec son fils Alton, doté de pouvoirs surnaturels, en compagnie d’un ami, Lucas, très taciturne, véritable bloc de pierre frustré incarné par Joel Edgerton. L’enfant n’a pas peur et semble déjà au courant, voire plus, de ce que ses « ravisseurs » fuient et cherchent. Car oui, toutes les forces gouvernementales américaines sont mobilisées pour capturer les deux hommes, et avoir main mise sur Alton. C’est sur la route, feux éteints, que le road-trip nocturne fonce, à cent à l’heure, faisant halte chez l’un et chez l’autre, courant après un endroit dont on ne sait rien, qui paraît être la destinée inévitable du garçon. Un scénario cent fois mis sur papier, qui impose tout de même un sens très mystérieux, ponctué de dialogues brefs, concis, laissant place aux visages et à leurs expressions, celles d’un père rongé d’incertitude, d’un flic perdu attristé par le monde, d’un gamin de huit ans tout beau, renfermant un monstre en lui, une puissance effrayante qu’il affirme être juste. Et si ses crises en plein jour, sa toute-puissance incontrôlée, n’étaient qu’une métaphore de l’adolescence ? Et si la douleur qu’éprouve Roy était en fait l’angoisse mortelle de devoir lâcher son fils ? Pourtant, malgré ces axes très intéressants fondés sur le côté relationnel, un arrière-goût d’inachevé se fait sentir, la fouille psychologique des esprits étant mise à la marge. Ainsi l’essentiel se résume au quatuor, à l’atmosphère à la fois délicate et violente qui englobe tout le film, en une sorte de spirale formidable.
Les plans et les séquences sont forts ; jamais la photographie n’avait paru si brillante chez Nichols. Un crescendo crépusculaire, jouant avec l’obscurité, les puits soudains de lumière, et une capture du moment, de l’instant, qui s’allonge avant d’être fracassé par une scène d’action – toutes utiles, intenses –, filmées avec un brio, une méticulosité et un rythme magnétique. Il y a quelque chose d’insaisissable dans cette maîtrise de la caméra, comme si chaque image était évidente par sa mise en scène, sa lumière, ses nuances. Les protagonistes y évoluent comme dans un songe, une vapeur floue où l’humain paraît encore être utile, bien qu’Alton s’en démarque au fur et à mesure du film. Jaeden Lieberher l’incarne avec candeur, sans en étouffer la nature inquiétante, face à Michael Shannon, sensible et bestial, qui s’effondre et se relève dans la pureté de son sentiment.
En revanche, si le pari d’intégrer la SF dans les rangs du cinéma d’art et d’essai est réussi avec audace – jusqu’à un dénouement à la Spielberg –, il y a une chose contre laquelle Jeff Nichols trébuche, c’est la clarté. Il esquisse des pistes sans les achever, rend des scènes anodines importantes par la gravité dont elles sont empreintes, et on a beau penser que c’est pour rendre la fuite (du temps ? de la tolérance ?) comme le noyau, le cœur essentiel de l’ensemble, on se perd souvent à cause du manque de détails, de petites touches qui auraient pu compléter pleinement l’identité insidieuse de l’enfant, la rendre plus lisible afin de mieux saisir son but.
Midnight Special est-il ou pas un produit SF ? Difficile à dire, tant il veut à la fois en écarter les allures et la réinventer dans le but de la rendre plus humaine, plus philosophique… Des extraterrestres et leurs vaisseaux spatiaux? Là-dessus, le stéréotype est brisé avec malice. Pas de héros, non plus. Juste un enfant-prophète…qui, toujours, cherche sa place.