À l’instar de la filmographie de son cinéaste, Spy est une œuvre parodique, en ce sens où il s’amuse à investir un milieu et à en rejouer les codes jusqu’à l’excès, dans une outrance qui sert à la fois de potentiel comique et de support à une réflexion sur la comédie-même. Ici, c’est le film d’espionnage qui jouit d’une relecture hautement ludique, sans jamais tomber dans le régressif. Et là se tient la grande intelligence de Paul Feig : penser le vulgaire comme un instrument dramatique – par conséquent noble – capable de dépasser sa disqualification morale pour accéder au rang d’art. Car le cinéaste sait construire son intrigue, et la grande lisibilité de l’histoire, des retournements, des scènes d’action également, traduit une maîtrise, une vision de cinéma. Nous pensons à James Bond, évidemment. L’introduction, avec le beau Jude Law (il est anglais), en est l’incarnation. Le générique également. Mais nous sommes aux États-Unis, et le charme anglais ne saurait fonctionner ; intervient alors la vulgarité, celle que la culture américaine façonne, à grand renfort de grossièretés utilisées dans les phrases comme interjections, conjonctions, adverbes… Le vulgaire est ramené à sa fonction politique, relatif à la vie d’une société particulière. Disqualifier le cinéma de Paul Feig sous prétexte qu’il accumule les outrances revient aussitôt à manquer sa valeur profonde, sa propension à épuiser l’identité d’une certaine Amérique qui, derrière le puritanisme des tâches qui l’incombent – il s’agit de sauver le monde d’une menace nucléaire, avec le terrorisme en toile de fond –, ne peut museler sa vulgarité. Que dire de l’écriture, sinon que les dialogues brillent par leur humour analogique et leur ciselage parfait ? Feig dispose d’un sens du rythme remarquable et offre à ses acteurs des joutes verbales d’anthologie ; à ce titre, le personnage incarné par Jason Statham, looser survolté et attachant, constitue l’une des nombreuses réussites du métrage. Surtout, Spy sait filmer la femme : qu’elle soit venimeuse ou généreuse, que son corps soit fin ou rond, que son esprit soit redoutable ou plus malléable, la femme demeure supérieure, seule à même de résoudre les conflits. Melissa McCarthy obtient ici l’un de ses meilleurs rôles et trouve, devant la caméra de Paul Feig, une déclinaison ingénieuse de sa beauté. Comme Mes Meilleures Amies, comme SOS Fantômes, comme Les Flingueuses, Spy détourne un milieu et son emploi traditionnel dans le cinéma pour aboutir à une franche comédie incapable d’ennuyer et réalisée de main de maître. Comédie où la femme, tour à tour figure burlesque que l’on peine à contrôler (vulgaire) et personnage dotée d’une sensibilité à fleur de peau (noble), rassemble par cette alliance a priori impossible les deux visages de la beauté.