Il y a vingt ans, qui aurait cru que Quentin Tarantino, jeune cinéphile un poil allumé et provocateur, deviendrait une icône de la pop-culture et une référence désormais incontournable pour tous bons dictionnaires se portant sur le 7ème art ? Sans nul doute, même pas lui-même. « Reservoir Dogs », « Pulp Fiction », « Jackie Brown »… Combien de ses films sont désormais inscris dans le panthéon du cinéma contemporain ? On pourrait parler de toute sa filmographie. Problème : voilà que maintenant, depuis ses tous derniers longs-métrages, celui qui était considéré comme le Messie dans les années 90 se retrouve face à son propre héritage, exaltant gratuitement violence cathartique et anti-humanisme décomplexé. Depuis « Inglourious Basterds », en 2009, on regarde un Quentin Tarantino uniquement pour regarder un Quentin Tarantino. Et le plaisir orgastique que pouvait incarner « Pulp Fiction » semble bien loin, mais toujours assez présent pour pouvoir apprécier l’artiste.
« Les 8 Salopards » revient d’une histoire compliquée, celle notamment de la fuite d’un scénario qui ira jusqu’à compromettre la gestation du métrage, ainsi que les nombreuses et virulentes critiques que Tarantino ne manque pas d’essuyer, venant parfois de son propre entourage (souvenez vous d’Ennio Morricone). En effet, Tarantino, à force d’autopastiches, est devenu assez dérangeant, et pourtant, il est difficile de snober son plaisir face à une telle crudité que représentent ses « 8 Salopards ».
Comme souvent chez « Kwin-tine », on commence par le milieu, inaugurant une double lecture narrative. Bien évidemment, cette idée du huis-clos en territoire hostile entre anti-héros fait penser à de nombreux classiques du cinéma, comme « La Chevauchée des bannis » « The Thing » et « Reservoir Dogs ». D’ailleurs, sur quoi reposait « Reservoir Dogs », premier film de QT sorti en 1992 ? Sur des dialogues brillants, sur des personnages à faire plonger au bord de la folie, sur une danse mythique de Michael Madsen au son de « Stuck in the middle with you ». La violence est également omniprésente dans « Les 8 Salopards ». Sauf qu’ici, comme dans le dernier né de Tarantino, « Django », elle explose, gicle sous forme de geyser. Tarantino n’a également pas perdu son talent de dialoguiste, éclatant notamment lors de la séquence ou Samuel L. Jackson décrit à un général sudiste la manière hideuse avec laquelle il a tué le fils de ce dernier. « Les 8 Salopards » est un western Grand-Guignol, autant assumé qu’organisé.
« Kwin-tine » est un nihiliste, un fabuleux prestidigitateur, un manipulateur hors-pair, un habile technicien qui ne perd pas ici son gout du burlesque et de l’extravagance. Et ce n’est pas le superbe 70mm tourné en format UltraPanavision qui dira le contraire, en nous gâtant de somptueux plans paysagistes, alors que paradoxalement, le film ne s'éloigne jamais d'un certain minimaliste que l'on pourrait autant attribuer à l'épure d'une réalisation précise qu'à l'absence d'artifice. Un ratio exceptionnellement large, mais offrant un tel confort de vision qu’il assure une pleine fluidité pour le récit, parfaitement narré. « Les 8 Salopards » est manifestement un film créé avec beaucoup de recul. Un recul par lequel Tarantino sort pour la première fois du formol de sa cinéphilie, tout en déguisant son scénario en représentation dégénérée de la société américaine post-esclavage. Orchestrant un manichéisme toujours aussi jubilatoire, QT réécrit sa propre légende, écrivant le schéma sécessionniste avec une subversion magistrale et bienvenue. Difficile également de ne pas se prosterner à l’écoute de la bande-originale martiale d’Ennio Morricone, galvanisant immédiatement nos tympans.
Le mal prend ici les traits d’un imposteur. Mais ici, le but n’est pas de savoir derrière quel masque se cache le monstre, mais lequel de ces huit monstres peut encore sauver son innocence. Sauf que bien évidemment, aucun d’entre eux ne peut prétendre à un tel idéal.
Opéra rouge-sang, « Les 8 Salopards » donne l’impression de retourner au cinéma pour la première fois. Impossible de savoir si il est mon Tarantino préféré, ou si il s’agit de son meilleur film, ou les deux, ou aucun des deux. Il s’agit là d’une œuvre nucléaire, pourtant passée à un doigt de la case avortement.
« Les 8 Salopards », brillant mixe entre un puant western horrifique, Agatha Christie, « Django », « Reservoir Dogs » et « The Thing », nous fait rappeler que seuls les salauds dorment en paix…