On essaie d’attraper la mouche, mais rien n’y fait. Elle a toujours un tour d’avance, révèle ainsi le caractère prévisible de l’action humaine, métaphore du destin sur lequel s’interrogent nos deux personnages principaux, assis les jambes dans le vide. J’ai Perdu mon corps emboîte les temporalités pour mieux brosser le portrait d’un enfant orphelin privé des membres de sa famille puis de l’une de ses mains, la faute à deux accident successifs qui ont à voir avec le son et sa captation. Le micro flottait par la fenêtre, saisissait le mouvement des arbres bougeant au vent ; le casque permet à Naoufel de remédier à sa gueule de bois et aux amplifications sonores. Dans les deux cas, c’est un rapport au son qui cause la séparation, le son d’un passé enregistré telle la mémoire vive d’une époque sinon révolue, le son tonitruant de la scie à bois. Entre-temps, le son d’une voix par l’intermédiaire de l’interphone dans le hall d’accueil, une voix qui laisse entendre quelque chose d’autre, une mélodie nouvelle détentrice d’une poésie nouvelle : elle parle d’ours blancs, de banquise et d’horizon. C’est le point de départ d’une aventure inédite, qui reste fictive et donc à écrire, à composer comme un musicien noircit ses portées de notes puis les joue au piano. La perte de la main est donc avant toute chose une amputation symbolique qui, en privant l’adolescent de son outil de travail et de rêve (il voulait devenir musicien et astronaute), le raccorde à une perte plus douloureuse encore, celle de ses parents. Le corps amputé devient un corps libéré, la main aux lignes destinales n’est plus là ; seul compte désormais le pas de côté, seul compte le saut dans le vide en direction de la grue. J’ai Perdu mon corps est une exploration de l’inconscient par le biais d’une main baladeuse, une main perdue dans un grand Paris ville d’anonymat, une main qui réconforte, se souvient, entretient le souvenir de rêves anciens, la main responsable de l’accident et donc tranchée brutalement. Le sacrifice de soi comme condition sine qua non de la renaissance à soi (en témoigne la neige qui tombe) et de la concrétisation de l’amour naissant. Être là. Servi par une animation magnifique et originale, porté par la partition envoûtante de Dan Levy, J’ai Perdu mon corps est un très grand film encombré peut-être par instants de lourdeurs poétiques, mais qui compose de véritables moments de grâce.