Oh diable que j'aime Nicolas Winding Refn ! Voilà un type qui fait partie de ces rares réalisateurs qui ont compris que l'esthétique d'un film pouvait dépasser le stade de la simple vitrine technique et servir totalement son sujet. Il avait déjà réalisé plusieurs tours de force ("Pusher", "Vahalla Rising", "Drive", "Only God Forgives") et il confirme encore avec son nouveau bébé : "The Neon Demon". A quoi nous invite donc Refn aujourd'hui ? C'est tout simple : au travers du parcours d'une jeune fille venu chercher à Los Angeles gloire et argent, on nous invite à une critique du monde de la mode et de l'ambition humaine sous la forme d'un conte de fées moderne. Car oui, c'est bien d'un conte qu'il s'agit ici, avec tout le côté sombre et satirique que cela peut amener...mais attention, il s'agit aussi d'un conte à l'allure totalement psychédélique : un peu comme si les frères Grimm avaient bossé en collaboration avec David Lynch ou Alejandro Jodorowski. Le film possède deux atouts indéniables : 01) La mise en scène est un incroyable exercice de style grandiloquent et somptueux dans la continuité des fulgurances graphiques de "Only God Gorgives" et dont les nombreuses influences sautent aux yeux : des scènes nimbées de noir d'où émerge une faible lumière qui devient de plus en plus vive de façon angoissante sorties toutes droit d'un David Lynch, l'obession de la symétrie façon Stanley Kubrick, la colorimétrie flashante de Gaspard Noé et une certaine fascination pour les formes géométriques remplies de symbolique à la Alejandro Jodorowski ; Refn semble rendre hommage à toutes ses idoles dans ce qui pourrait largement être considéré comme un ersatz de film de Dario Argento sur-boosté (vous avez déjà vu "Suspiria" ?). Avec une facilité déconcertante, il parvient à mêler mauvais goût assumé et sophistication extrême : même en étant saturés à mort de formes géométriques et de couleurs, les plans ne perdent rien en puissance visuelle et parviennent à nous hypnotiser le plus simplement possible. Pourtant, je suis sûr que nombreux plans du métrage ont dû être un véritable calvaire à filmer ! 02) le contenu du sujet : "The Neon Demon" met en avant le règne de la surface, de la superficialité absolue. On ne parle que de la beauté quasi divine de Jesse (la pureté de ses traits fascine tous ceux qu'elle rencontre qui tombent automatiquement en émoi devant elle), laquelle on essaie par tous les moyens d'enfermer dans un monde miroitant de gloss et de paillettes scintillantes : si la nature humaine est montrée du doigt notamment par l'obsession narcissique de la beauté et de la célébrité, la satire du milieu de la mode et de la publicité est immanquable : un univers froid et aseptisé qui vend pourtant du rêve, le regard féroce quasi-animal des photographes, la compétitivité poussée à l'extrême par la jalousie maladive des autres mannequins, la manière dont on profite d'une personne afin de la jeter à la poubelle sans aucun remord dans la seconde qui suit...Entre fascination et répulsion, Refn s'amuse à décliner la beauté sous diverses formes : un exercice de style parfaitement assumé et maîtrisé qui a le mérite de créer une atmosphère étouffante qui ne manquera pas de déranger certains d'entre nous (à ce titre, la bande sonore hallucinante de Cliff Martinez, qui mêle magnifiquement fureur et élégance, renforce ce sentiment d'oppression malsaine digne d'un véritable film d'horreur....un peu comme le faisait Angelo Badalamenti dans les films de Lynch !). Au milieu de ce monde perverti jusqu'à l'écœurement, nous rencontrons des femmes fortes qui ont complètement assimilé l'univers dans lequel elles évoluent et qui, sous leur apparence d'ange serviable, peuvent se révéler être de véritables garces démoniaques (Abbey Lee est classe dans sa férocité et Jena Malone est absolument envoutante !). Parmi ces démons en parure, surgit une jeune adolescente un peu paumée et naïve qui semble sortir d' "Alice aux pays des Merveilles" qui basculera elle-aussi du côté obscur pour devenir la femme fatale qui a toujours sommeillé en elle : Elle Fanning est absolument incroyable de justesse dans ce rôle finalement assez complexe, qui vogue constamment entre timidité et innocence et insensibilité et effroi. Sorte de thriller à tendance giallo ultra stylisé se voyant comme une relecture postmoderne du mythe de Cendrillon, The Neon Demon est un uppercut esthétique inclassable : d’une splendeur formelle si démesurée qu'il conduit à une intensification extrême des sens, il est en vérité une parabole caustique et électrique débordant de nihilisme dont la réalité qu’il dépeint apparaît finalement fausse, aussi artificielle que ces protagonistes (voir la première scène qui s'ouvre sur une image violente d'un cadavre féminin ensanglanté). Comme a son habitude, Nicolas Winding Refn est aussi déconcertant que jubilatoire : la démesure lui va si bien...et puis, certains grands artistes n'ont-ils pas déjà avisé que « Le bon goût est l'ennemi de la créativité » ?