S’il y a bien une manière de caricaturer le film d’auteur français à gros traits, c’est en le dépeignant comme un truc qui se déroule dans le cadre d’un repas ou d’une réception entre amis ou membres d’une même famille, où chacun y va de son couplet politique ou philosophique avant qu’un élément ne sème la discorde, et que tout le monde commence à s’engueuler, à s’accuser de toutes les vacheries et à ressortir les vieilles histoires de coucheries longtemps tues dans l’intérêt des ménages, tout ça en grillant cigarette sur cigarette et en s’enfilant de généreuses rasades de vin...sauf qu’en réalité, ce cliché correspond de moins en moins à la réalité. Heureusement, à l’autre bout de l’Europe, d’autres Latins semblent avoir pris le relais, prêts à se repaître de ces très longs plan-séquences qui suivent d’une pièce à l’autre, autour d’un hall central transformé en carrefour de la comédie humaine, les membres d’une famille élargie réunis pour célébrer la mémoire du patriarche décédé : il y a le neveu obsédé par les théories du complot, le frère flippé par ce qu’il considère comme la course éperdue du monde vers les ténèbres, la vieille tante nostalgique de l’ère communiste et l’autre qui en profite pour crever l’abcès avec son queutard de mari, tous échaudés par l’impossibilité de commencer à manger tant que le pope convié pour célébrer le souvenir du défunt n’est pas arrivé. Si le schéma évoque un peu celui de ‘Festen’, nulle révélation fracassante ne viendra faire imploser ces retrouvailles failiales : il s’agit plutôt d’un défilé ininterrompu de ces petits arrangements avec la réalité et de cette petite hypocrisie sociale qui, une fois révélés au grand jour, minent la cohésion familiale...qui, du reste, semble assez solide pour s’en accommoder. Le spectateur, voyeur à son corps défendant, est invité à assister à ce déballage de linge sale et à ces règlements de compte miniatures, pendant près de trois heures...et c’est déjà un petit exploit que de parvenir à maintenir l’intérêt en éveil aussi longtemps, dans un schéma où les protagonistes ne font finalement que parler, se lever et se rasseoir. A son crédit, il faut reconnaître que ‘Sieranevada’ est remarquablement bien monté et bien scénarisé, malgré une inévitable tendance au verbiage, et qu’il aborde des problématiques universelles, comme ces psychoses modernes qui n’ont rien de spécifiquement roumaines, et ces rites sociaux absurde qui, conçus pour rassembler les gens, finissent par les éloigner les uns des autres.