Les mémoires de Jules César sont dans les mains du capitaine au début et à la fin du film. Pas la Bible, ce n’est bien sûr pas un hasard. La vie de César a été très romaine… Le film aussi. Un soldat lui dit « ça va quand on ne respire pas » (après avoir pris une balle dans la poitrine au cours d’une attaque des Comanches) : c’est exactement notre cas, assis dans notre fauteuil, du début à la fin de ce film. La charge émotionnelle du film est en effet intense ; il s’en passe à tous les niveaux, dans l’action autant que dans les images, dans les paroles autant que dans les silences... Une première raison est qu’il s’agit d’une nouvelle performance de Christian Bale –ce n’est pas la meilleure car toutes ses performances sont excellentes (sauf bien sûr Exodus, la cochonnerie de Ridley Scott millésime 2014). On n’en dit pas plus, c’est le gros intérêt du film. La deuxième raison est que c’est une interrogation sur l’homme. Pourquoi l’homme devient mauvais ? Et sans s’en rendre compte dans la majorité des cas ! Que peut-il faire quand il s’en rend compte ? S’il a la chance (ou le malheur) de s’en rendre compte ! Et pour celui qui ne s’en rend pas compte, que lui reste-t-il ? L’un est accusé de massacre, on va le pendre ; l’autre en a fait autant mais se défend « moi, je faisais mon travail ». L’un dira « vous n’êtes pas celui que je croyais », et de fait, l’un est récupérable, l’autre ne l’est pas. C’est là toute la tragédie du film : on tue par devoir ; on s’accoutume ; on devient assoiffé de sang ; on perd son humanité ; certains se regimbent, d’autres pas… Ces questions nous taraudaient hier et nous taraudent aujourd’hui. Enfin, troisième raison, c’est une histoire des États-Unis, ce coin du monde qui s’est construit dans la douleur, pour ne pas dire la folie, la conquête s’étant faite sur l’extermination des indiens, dont l’Amérique en a fait une épopée ensuite. Le film se passe juste après la fin théorique de la guerre contre les nord-amérindiens (c’est-à-dire leur quasi-génocide). On est aussi, et ça joue un rôle dans le film, 25 ans après la guerre civile (qui avait tué ou blessé presque un million d’américains en quatre ans). C’est toujours bon de ruminer sur ces deux folies… Surtout que Trump règne aujourd’hui, et qu’on rumine encore sur la folie meurtrière. On accusait le diable pour excuser des tueries (car « sans la foi que reste-t-il ? » dit un personnage), comme Trump accuse le diable pour la tuerie de Las Vegas. Plus d’un siècle après l’époque du film (1892), ce que disait D. H. Lawrence de l’américain est toujours actuel –The essential American soul is hard, isolate, stoic, and a killer. It has never yet melted (l’américain, par essence, est dur, solitaire, stoïque, c’est un tueur, et il l’est toujours). Il a écrit ça en 1923. D’ailleurs, la citation est en exergue du film. Mais attention, le film n’est pas que déprimant, ni que violent. Il y a du soleil derrière les nuages. Une fin est curieusement amenée d’ailleurs, dont on ne dira rien, sauf que celui qui part juste après l’avant-dernière image aura vu un tout autre film (la dernière image change tout en effet)… Pour finir, on regrette que Paul Anderson, le Arthur Shelby de Peaky Blinders, n’ait pas un rôle plus central. Quant à Timothée Chalamet, il est un peu comme un cheveu sur la soupe, trop joli pour cette rudesse, d’ailleurs il s’en va vite, ce n’était pas son film.