Il est facile de critiquer le cinéma français, son incapacité presque totale à appréhender le concept de cinéma de genre ou son approche industrielle de la comédie plouc...mais il faut reconnaître qu’avec le système de financement unique au monde dont il bénéficie, on y découvre parfois des oeuvres, peut-être confidentielles mais qui n’auraient virtuellement aucune chance de voir le jour dans un autre pays. Avec des moyens drastiquement limités, Bertrand Mandico livre une oeuvre formellement puissante, proche des rêveries les plus hallucinées de Jodorowsky. ‘Les garçons sauvages’, c’est un film d’époque en noir et blanc, sur de petits voyous des beaux quartiers, coupables d’avoir commis un viol collectif et pour cette raison livrés à un mystérieux capitaine. C’est un film d’aventures décadentiste où plane un parfum de Corto Maltèse, avec l’arrivée et la survie sur une île aux mystères. C’est une oeuvre à la démarche allégorique, anti-naturaliste au possible, convaincue que la vision de l’artiste prime sur toute autre considération. C’est aussi une oeuvre réflexive, qui décrypte les concepts de désir, de genre et de pulsion sans cela vire à la fixette, et un authentique condensé de références littéraires et cinéphiliques, françaises et internationales, “sérieuses” autant qu’ancrées dans le fantastique et la science-fiction. C’est un film érotique, enfin, qui témoigne de l’obsession de Mandico pour les corps, pour leurs mouvements, pour leurs sécrétions... jusqu’à la nature vierge environnante qui regorge de symboles phalliques. On peut, sans trop trahir un scénario qui n’a de toute façon qu’une importance secondaire, révéler que le châtiment des adolescents pour leurs actes sera une transformation progressive en femme, que certains - mais pas tous - accueilleront comme une délivrance. L’astuce employée par Mandico est d’ailleurs de faire jouer le rôle de ces jeunes gens dès le départ par des actrices, afin de leur conférer un caractère androgyne naturel. D’ailleurs, il importe peu que ce scénario donne souvent l’impression de s’égarer en chemin, où qu’il recourt à quelques ficelles en apparence grossières comme la voix off : on est moins dans une logique de récit que dans celle d’une rêverie. Peu importe également que le propos de Mandico s’inscrive dans le contexte du moment sans vraiment s’y inscrire : si on peut y voir une charge contre la masculinité toxique, cet angle de vue reste très secondaire au vu des multiples autres dimensions des ‘Garçons sauvages’ : Mandico est un formaliste, pas un militant, il appréhende son travail comme une oeuvre d’art, un creuset dans lequel il tente de créer quelque chose de neuf à partir de multiples influences. Comme toute autre oeuvre d’art, celle-ci ne doit pas être objectivement justifiée mais subjectivement ressentie. Evidemment, ceux qui privilégient une notion plus classique du cinéma, qui devrait raconter ou exprimer quelque chose, ou en tout cas le faire de manière lisible, seront profondément désorientés, peut-être même irrités, et le blocage est à craindre. Mais même en ce qui les concerne, je ne vois pas comment ils pourraient prétendre ne pas être marqués d’une manière où d’une autre par cet Objet Filmique Non Identifié, définitivement à part de la production contemporaine.