Sous le regard de Matteo Garrone, un fait divers crapuleux peut se métamorphoser en conte moral, en fable baignant dans une atmosphère imperceptiblement surréaliste afin d’illustrer le fait que plus qu’une crise économique, c’est avant tout une crise morale que traverse cette Italie déchirée par l’appât du gain facile, le mépris et le ressentiment de classe, la lutte de tous contre tous. Le cadre lui-même semble irréel, bien loin des clichés qu’on peut nourrir à propos d’une Dolce vita qui serait en vigueur dans la Péninsule : une cité balnéaire en déshérence, où chacun se débrouille comme il peut pour garder la tête hors de l’eau. Parmi les humbles qui peuplent l’endroit, il y a Marcello, un toiletteur pour chiens qui, comme tous ses voisins, est en butte aux avanies et aux menaces de Simoncino, toxicomane irrécupérable et brute locale autoproclamée. D’un côté, un homme malingre, discret, soumis. De l’autre, une montagne de muscles, brutale, bestiale même, un fléau absolu pour son environnement (qui n’avait pas vraiment besoin de ça) : la métaphore canine fonctionne dans les deux sens, la relation de domination, toxique, presque incompréhensible, est établie dès les premières minutes du film. Si Garrone n’essaye pas de forcer la sympathie pour le modèle de veulerie qu’est Marcello, remarquablement incarné par le méconnu Marcello Fonte, on éprouve pourtant de la compassion pour cet avorton solitaire, père attentif que la dureté du quotidien a forcé à refouler sa sensibilité et qui s’impose le pire dans l’espoir d’obtenir un peu de respect et d’intérêt...mais comme tout un chacun, l’homme a ses limites. Le canevas pourrait sembler banal mais comme souvent dans ce cinéma italien qui voit le drame se confondre avec la comédie grinçante, c’est l’exagération même des traits du quotidien qui impose le réalisme et transcende la crédibilité du récit. Sans recourir au moindre effet de manche, Garrone parvient à transformer une banale histoire de ressentiment et de vengeance de voisinage en lutte à la dimension mythologique : sa conclusion glaçante et nihiliste, celle de l’aboutissement triomphal d’une quête du héros dont personne n’aura remarqué l’existence, restera longtemps en mémoire.