Carré 35, c'est l'endroit dernier où repose Christine, la première petite fille du couple Caravaca, quelque part à Casablanca. L'acteur, qui endosse cette fois la posture du réalisateur, offre un film à mi-chemin entre le documentaire, le témoignage historique et l'autofiction. Car il s'agit de ses propres parents ici, regardés au scalpel, à propos de cette première enfant, décédée très tôt, dont on sait qu'elle hante malgré elle, les profondeurs familiales. Là où une Christine Angot ferait un récit délibérément narcissique, le réalisateur tente de faire coïncider la grande histoire, en l'occurrence celle de la décolonisation au Maroc et en Algérie, et la petite histoire, celle de cette famille qui raconte l'effroi de la perte d'un premier enfant. En ce sens, "Carré 35" est un film universel. Le réalisateur échappe avec beauté au risque de l'impudeur et l'exhibitionnisme. Le récit emprunte la prudence nécessaire pour aborder avec autant de justesse et de hauteur d'esprit, l'archéologie intime d'une famille, construite dans un exil et un avortement d'enfance. Le réalisateur ne juge jamais. Il ne verse pas dans la colère contre ses propres parents, et encore moins dans le pathos. Et pourtant il aborde des thèmes absolument terribles comme le déni, le rejet de la différence, la perte de repères géographiques, affectifs et sociaux. Cette histoire familiale pourrait être celle de chacun de nous. En tous cas, "Carré 35" est un exercice de cinéma où l'esthétique accompagne le récit inaugural d'une vérité toujours à réécrire.