Une œuvre dont le nom a traversé plus d’un demi-siècle sans tomber dans l’oubli. Bien au contraire. Il faut dire qu’en ce début des années 50, la réalisation d'Elia Kazan est un film choc propulsé au rang des chefs-d’œuvre, alors qu’elle n’est ni plus ni moins qu’une adaptation cinématographique d’une pièce écrite par Tennessee Williams, alors gros succès sur les scènes de Broadway avec déjà Marlon Brando dans les rangs. Je ne savais pas à quel point ce dernier était si beau gosse, et il faut avouer que son air de bad boy lui allait à merveille. Pas étonnant qu’il ait fait chavirer les cœurs des dames, et pas étonnant non plus qu’il ait éclairé de son talent d’abord la pièce de théâtre, puis le film, tant et si bien qu’il a quasiment étouffé celui des autres comédiens, hormis Karl Malden qui tire largement son épingle du jeu avec ses délicieux petits cabotinages puérils. Par ailleurs, Kim Hunter et Vivien Leigh proposent une prestation plus qu’honorables, mais plus dans un style dramatique à la sauce grecque (sans doute un héritage laissé par la pièce originelle), en particulier pour Vivien Leigh qui interprète ici son deuxième rôle le plus marquant de sa carrière après "Anna Karenina". Pour autant, on comprend très vite que son personnage semble avoir un grain. Ironie du sort, le rôle de Blanche Dubois allait sonner le glas de sa carrière psychologiquement parlant, et je vous laisse le soin de découvrir comment et pourquoi à travers les anecdotes du tournage et sa filmographie sur notre site préféré. Aussi, le film d’Elia Kazan prend après-coup un air de film visionnaire, en plus d’un film choc qui a marqué toute une génération. Plusieurs thèmes y sont abordés, tout en présentant tout un panel de caractères fondamentalement différents, avec pour toile de fond une opposition de modes de vie
(maladie psychologique, matérialisme, vénalité, sexualité, machisme, violence conjugale, conditions de la femme…)
. C’est fait avec beaucoup de densité, et on se prend à craindre de tomber dans une ambiance malsaine. Et c’est si bien fait qu’on nous propose ici une réflexion sur nos différences, sur la nature humaine et tout ce qui la compose : son idéologie, ses besoins, ses envies, et même les pensées. Le pire est que les sujets sont encore aujourd’hui d’actualité. Heureusement, le personnage de Mitch (Karl Malden) amène un peu de fraîcheur et de légèreté, en complément des piques grinçantes de Stanley (Marlon Brando), si grinçantes qu’elles prêtent quelquefois à sourire, quand elles n’estomaquent pas le spectateur. C’est bien maîtrisé par Elia Kazan, et son art parle dès les premières images, avec ce mouvement glissé sur des personnes lambda avant de se fixer sur un écran de fumée d’où va sortir rapidement Blanche. Rien n’est laissé au hasard, les accessoires les plus anodins ont leur importance dans la psychologie des personnages, à l’image de la lanterne chinoise venue coiffer une ampoule nue. Une ampoule promue symbole de la lumière, avec laquelle l’équipe technique n’a cessé de faire joujou pour nous offrir cette ambiance teintée de clair-obscur, vitrine de la psychologie de Blanche. La tâche était compliquée, mais l’étroitesse des décors a facilité le travail des éclairagistes, et le résultat est des plus réussis, porté par un magnifique noir et blanc finement contrasté. Pour ceux qui se demandent pourquoi le titre de "Un tramway nommé Désir" (après tout, ce fameux tramway n’est qu’à peine vu en début de film), vous trouverez l’explication dans la version longue. En effet, une douzaine de coupes ont été faites par le monteur David Weisbat sans tenir le réalisateur au courant, à la demande expresse du studio Warner Bros, afin d’éviter une condamnation de la Ligue pour la vertu (Legion of Decency). En 1993, la Warner a ressorti le film dans son intégralité après avoir retrouvé et réintégré les séquences manquantes en 1989. L’inconvénient est que les morceaux manquants ne bénéficient pas des mêmes voix françaises pour le doublage. J’avoue que c’est un peu déstabilisant, d’autant plus que certaines scènes rajoutées n’apportent rien de plus. Quatre Oscars à la clé : Vivien Leigh pour la meilleure actrice (elle le mérite avec sa tuberculose déjà diagnostiquée depuis sept ans avant le tournage), Kim Hunter pour le meilleur rôle féminin, Karl Malden pour le second rôle masculin, et enfin… l’Oscar de la meilleure direction artistique. Rien pour Malon Brando, pourtant nominé pour l’Oscar du meilleur acteur. Alors si vous aimez aussi les films anciens, ne ratez pas la station qui voit "Un tramway nommé Désir" : il se fait tellement désirer sur nos écrans…