Faire un biopic aussi historique que son personnage, ce peut sembler une entreprise naïve, conception partagée à l’époque par des producteurs & une audience munis d’une bonne part de scepticisme & d’inquiétude : entre Dieu vivant, diplomate de génie & parangon d’une vertu trop pure pour ne pas être endommagée ou exagérée au cinéma, Gandhi aura fait bien des choses dans la mort malgré ce qu’en disait son entourage quand il essayait de le dissuader du jeûne.
Cela aura pris 20 ans à Attenborough pour se sortir de tels micmacs, parfois financiers, qui auront autant marqué l’histoire du cinéma que le film. Fresque en extraits choisis, le film prévient d’emblée qu’il va découper l’existence du grand homme, le scénario dut-il même le faire jaillir de nulle part. C’est une perte inévitable qui est difficilement critiquable eu égard à Ben Kingsley, l’acteur de Gandhi. Originaire de la même région que le Mahatma & lui ressemblant énormément physiquement, Kingsley était un choix presque bêtement évident qui ne risquait pas d’avant-courir à sa prestation incroyable de gentleman sage & patient. Ajouté à cela que son vieillissement est traité avec une grâce sans pareille & l’on a la recette pour un Oscar du meilleur acteur.
Le scénario aurait pu appuyer davantage sur la géographie (la vie de Gandhi en Afrique du Sud, par exemple, qui devrait sembler beaucoup plus épatante au spectateur occidental) et les fondements de la société indienne (les castes, par exemple aussi), bref : aurait pu contenir l’exotisme naturellement présent dans les faits, sans partir en vrille créative. Le choix d’un déroulé plus docile n’est pas tendre avec la frise chronologique politique qui avance, malgré les 3h10 du métrage, avec grande densité. Mais il est adéquat pour l’émergence de l’homme qu’on avait tant craint de méreprésenter : sa patience & son abnégation éclosent doucement jusqu’à nous faire éprouver sa fatigue & rendre sa mort insupportable. Gandhi a revécu.
La longue genèse du film aurait mérité d’être plus longue si cela n’avait pas fait craindre (à raison) pour son intégrité : ainsi mûrie, elle se tient au bord des années 1980, à un moment où le cinéma est devenu plus fertile à des biopics (presque) sérieux & durables. Ne bénéficiant pas entièrement de cette réforme, encore légèrement retenue par la tendance des années 70 à faire de l’affabulation discrète pour la gloire de la technique, l’œuvre nous offre tout de même un record du monde du nombre de figurants sur un plateau : 300 000, un nombre que les foules créées informatiquement rendent aujourd’hui indépassable.
Voilà de piètres ordres d’idée de la gestion pharaonique du tournage. La vérité d’une non-violence qui marche & d’une religion qui déborde délicatement sur une intrigue sans l’inonder, c’est un sentiment qu’on ne connaît qu’en revivant la vie de Gandhi comme on peut – & l’on peut voir ce film. Plusieurs fois. Tout comme l’histoire repose sur Gandhi, le film repose sur Kingsley, & tout énorme le film soit-il, le souvenir de son visionnage mûrira à l’idée du magnifique acteur jusqu’à effacer toutes ses faiblesses.
→ https://septiemeartetdemi.com/