Le titre. L’affiche. Le pitch.
Les intentions sont clairement énoncées dès le départ : ce « A couteaux tirés » entend clairement jouer sur la fibre des bons vieux polars à l’anglaise, avec tout le folklore et les images d’Epinal que ça implique.
Pourquoi pas.
Après tout un bon polar repose avant tout sur de la bonne écriture ainsi que sur un travail d’atmosphère. Deux domaines que le cinéma déserte de plus en plus au regard des standards nouveaux qui s’imposent en ce moment. Au moins, la démarche est louable.
Rien que pour cela : moi j’ai envie de dire « banco ».
Rian Johnson, j’achète ton postulat.
Malheureusement, aux premiers abords, c’est la peur qui, chez moi, l’a emporté.
Musique un brin pompière. Photographie plutôt criarde. Et surtout toute une flopée d’effets de manche assez grossiers qui ne sont là que pour masquer l’incapacité qu’à la mise en scène à faire vivre sa temporalité et ses espaces : montage serré, multiplication stérile des valeurs de plan, incrustation d’indications à l’écran… Beaucoup d’artifices pour pas grand-chose.
A ce petit jeu là d’ailleurs, la scène des premiers interrogatoires est vraiment annonciatrice du pire. Entre ces cadrages paresseux, cette sculpture hideuse exposée à tout bout de champs et le cabotinage pas très subtil de ce casting pourtant cinq étoiles : tout sonne faux. Personnellement j’avais davantage l’impression d’assister à un making of tourné sur un plateau de tournage plutôt qu’à l’amorce réelle d’une fiction captivante.
Mais bon, derrière tout cela il y a tout de même une intrigue qui a le mérite de commencer vite et fort.
Les techniques habituelles de l’écriture d’un polar sont sollicitées. On ne se perd donc pas. Mais, fort heureusement, cet « A couteaux tirés » sait intelligemment dépasser ce postulat assez rapidement. Sitôt je me disais « Ah c’est bon je vois où tu veux en venir », que le film me conduisait sans tarder à cette conclusion pour passer ensuite à autre chose. En permanence le scénario entend nous montrer qu’il en a sous le capot ; qu’il a prévu un certain nombre de pistes et de retournements de situation, veillant bien à disséminer régulièrement des éléments dont il nous fait comprendre qu’ils auront leur importance.
L’édifice montre vite qu’il entend être riche mais cohérent ; qu’il a été pensé comme un piège de l’esprit convenablement élaboré. Bref, je trouve qu’il sait mettre progressivement en confiance tant il fait preuve de lisibilité dans ses intentions.
Voilà donc qui augurait du bon. Car après tout, n’est-ce pas le propre d’un bon polar que de savoir nous mener en bourrique tout en nous conduisant exactement là où il l’entend ?
Pourtant, comme un symbole, il a donc fallu que les auteurs introduisent parmi les éléments clefs de l’intrigue quelque-chose que je suis incapable d’expliquer.
Quelque-chose de saugrenu.
Le fait que l’héroïne soit atteint d’un terrible mal.
Celui de vomir à chaque mensonge.
C’est…
C’est… Mais… Pourquoi ?
Je veux bien que l’atmosphère générale du film ne sombre pas dans le sérieux et le solennel le plus total. Néanmoins, cette idée de personnage qui ne peut pas mentir sous peine de vomir, c’est juste… ridicule.
A chaque gerbe, j’avais un petit moment de dépit. Je me disais « OK, je comprends l’utilisation scénaristique du truc » mais à chaque fois ça me sortait un peu de l’intrigue en mode « Ouais… Bon c’est vrai que c’est qu’un film quoi… »
Or, même s’il est vrai qu’un film ne reste qu’un film, en termes d’immersion, c’est jamais chouette qu’on nous le rappelle régulièrement. Encore moins quand on nous le rappelle par des intermittences vomitives.
Mauvais point. Vraiment.
Malgré tout, bon-an-mal-an, même si ce film tord parfois un peu ses propres conventions au service de l’intrigue – et même si tout ça est au fond un brin alambiqué – je me dois tout de même de reconnaître que la bateau a su me conduire jusqu’au bout, sans m’ennuyer, et sans rompre totalement ma suspension consentie d’incrédulité.
Certes, parfois le film a flirté avec le hors-piste...
(la fuite paniquée de Martha en voiture, j’avoue que à failli me sortir du trip)
...mais à chaque fois l’écriture a su se rattraper aux branches et poursuivre comme si de rien n’était.
Certes, parfois ce bon vieux Benoit Blanc semble valider des témoignages un peu péremptoirement, mais ça se fait aussi dans l’intérêt de la clarté du propos et surtout dans l’intérêt du rythme.
Et même si parfois Rian Johnson laisse un peu trop la part belle à la parlotte alors qu’il pourrait davantage travailler des moments de tension, il finit malgré tout, bon-an-mal-an, par poser cette atmosphère qui faisait si cruellement défaut lors de son introduction. Quelques coups de cannes qui résonnent dans un couloir glauque. Des jeux de lumières plutôt habiles Des décors dont il finit par jouer enfin en s’attardant sur une flopée de détails, qu’il s’agisse des traditionnels chemins boueux, des vieilles pendules, ou de la fenêtre dérobée…
Tout ça finit par fonctionner.
Au bout d’un moment, cet espace sensoriel finit réussit à s’installer et c’est tant mieux.
Au final, le bilan fut pour moi plutôt positif.
Personnellement, je ne me suis pas ennuyé.
Ça m’a laissé curieux jusqu’au bout.
Sur ces points là : mission accomplie.
Malgré tout, je ne peux m’empêcher de constater que, même s’il a ce mérite d’être parvenu à reconstituer ce fantasme de vieux polar à l’ancienne, cet « A couteaux tirés » n’a pas su dépasser le statut de simple distraction.
C’était amusant, certes, mais ça n’a pas laissé de trace.
La faute sûrement à une absence totale de propos ou de regard.
Au fond, le film ne repose que sur le plaisir de voir un mystère se dénouer sous nos yeux. Rien de plus.
Mais bon…
Un film se doit-il forcément d’être enthousiasmant ?
La simple capacité à distraire n’est-il pas un mérite suffisant ?
Personnellement, à bien tout prendre, je préfère encore ce genre de films à d’autres, plus pompeux et plus sérieux, mais moins généreux et moins rythmé.
« A couteaux tirés » fait passer le temps. Il fait même passer, me concernant, du bon temps.
Au fond, il est comme une soirée passée au coin du feu.
Il n’a rien d’extraordinaire, mais il n’en reste pas moins un moment agréable.
Pour peu donc qu’on sache slalomer entre les quelques tâches de vomi, voilà un spectacle qui peut valoir le déplacement…
Mais bon… Après ça ne reste que mon point de vue. Donc si vous n’êtes pas d’accord et que vous voulez qu’on en discute, n’hésitez pas et venez me retrouver sur lhommegrenouille.over-blog.com. Parce que le débat, moi j’aime ça… ;-)