Giuseppe Tornatore collabore avec Ennio MORRICONE (1928-2020) depuis son 2e film, « Cinema Paradiso » c’est-à-dire depuis 33 ans, ce qui lui a permis de filmer le compositeur dans son appartement, plein de livres, de papiers et de partitions, égrenant ses souvenirs avec une mémoire phénoménale. Cette interview constitue la colonne vertébrale du documentaire, à laquelle le réalisateur ajoute, d’une part, les interviews de ceux qui ont côtoyé le musicien, réalisateurs (Sergio Leone bien sûr, Terrence Malick, Brian de Palma, Bernardo Bertolucci, Dario Argento, Gillo Pontecorvo, Roland Joffé, Oliver Stone), compositeurs (John Williams, Hans Zimmer, Quincy Jones), chanteurs (Bruce Springsteen), acteurs (Clint Eastwood) et d’autre part, des extraits de films et de concerts dirigés par Ennio Morricone, le tout avec un montage images et son remarquable et d’une grande fluidité, le rendant passionnant. Le réalisateur ne se contente pas de juxtaposer une liste de films, parmi les 500 sur lesquels a travaillé le musicien, de 1960 (sous le pseudonyme de Dan Salvio) à 2016. On y découvre son enfance (souhait d’être médecin mais devenant trompettiste comme son père, à 11 ans), ses débuts (comme arrangeur chez la maison de disques RCA Italiana), son mariage en 1956 avec Maria qui sera toujours son meilleur soutien et conseiller, son côté « schizophrène » et/ou caméléon : il possède un don pour la mélodie avec incorporation de techniques classiques comme le contrepoint [superposition de lignes mélodiques différentes, qui remonte au Moyen-Age avec la musique polyphonique et dont Jean-Sébastien Bach (1685-1750) en a été un des maîtres] ; il s’inspire même de musiciens classiques : dans « Et pour quelques dollars de plus » (1965) de Sergio Leone, il introduit un extrait de « La Toccata et fugue en ré mineur, BWV 565 » de Jean-Sébastien Bach. Dans « Des oiseaux petits et gros » (1966) de Pier Paolo Pasolini, il introduit un thème composé par Girolamo Frescobaldi (1583-1643). Il a aussi une passion pour la musique contemporaine et expérimentale, à tel point que Stanley Kubrick voulait qu’il en compose une pour « Orange mécanique » (1971) mais il était occupé par « Il était une fois la révolution » (1971) de Sergio Leone ». Pour « Mission » (1986) de Roland Joffé, il ne voulait pas composer de musique mais le réalisateur l’a convaincu et il l’a écrite en 2 mois avec introduction d’un motet (chant religieux à plusieurs voix) ; malheureusement, Il n’obtient pas l’Oscar de la meilleure musique, octroyé à Herbie Hancock pour « Autour de minuit » (1986) de Bertrand Tavernier. Il fait preuve d’une grande modestie, humilité et sensibilité (à l’évocation de certains souvenirs) avec un sentiment de déclassement (quand il remplace son père, qui n’est plus à la hauteur, pour nourrir sa famille), de culpabilité car ne composant pas de la musique « sérieuse ». Son professeur de musique, Goffredo Petrassi (1904-2003), grande référence musicale de l’époque, assimilait la composition de musique de films à de la prostitution pour un musicien (bien qu’il ait, lui-même, écrite celle de « Riz amer » (1949) de Giuseppe de Santis]. Il avouera, plus tard, s’être trompé. Parmi les nombreux couples réalisateurs-musiciens [Bernard Herrmann (1911-1975) et Alfred Hitchcock, Nino Rota (1911-1979) et Federico Fellini, John Williams (1932- ) et Steven Spielberg (ainsi que George Lucas), Hans Zimmer (1957- ) et Christopher Nolan], Ennio Morricone et Sergio Leone (ils sont allés ensemble à l’école) ont leurs places ; pourtant, ils n’ont fait que 6 films ensemble (sur 8) et ce « couple » mythique ne doit pas faire oublier que Morricone a, non seulement composé pour de très nombreux réalisateurs italiens mais aussi français (5 films avec Henri Verneuil) et américains [dès 1966 avec « La bible » de John Huston]. Malgré 5 nominations aux Oscars (de 1979 à 2000), cela n’est qu’en 2007 qu’il reçoit, des mains de Clint Eastwood, un Oscar d’honneur pour l’ensemble de sa carrière (à 79 ans) et le dédie à sa femme Maria. Il en reçoit un autre en 2016 pour « Les huit salopards » (2015) de Quentin Tarantino. Et Morricone de conclure, qu’il a voulu arrêter la musique de films tous les 10 ans, souhait auquel il a renoncé maintenant.