En résumé c'est bon, c'est beau, c'est fort et le trio de comédiens est filmé avec amour et délicatesse.
Alysson Paradis est flamboyante, Elodie Bouchez forte et subtile, tout en nuances, et il ne faudrait pas oublier le jeune garçon, Viggo Ferreira Redier qui délivre une performance d'acteur telle qu'on a l'impression qu'il ne joue pas, qu'il est "naturel" selon l'expression consacrée. Or, à part un poisson rouge qui oublie à chaque fin de prise, qui est "naturel" à partir de la deuxième ? Capable d'espièglerie de nonchalance, d'effronterie et d'une immense émotion, le tout l'air de rien, nous dit tranquillement d'aller nous faire "cuire le cul". Il passe parfois dans le plan comme le passager clandestin d'un voyage que son personnage n'a pas choisi de faire et dont on fait peu de cas. Un immense bravo à tous les trois, et spécialement à ce petit bonhomme qui nous renvoie aussi le regard qu'on porte à ce deux femmes qui nous embarquent fissa sans se poser la question de notre consentement (ben t'as payé ta place coco !). Dès le début le son claque et puis ce cut brutal et ce plan sur le gamin silencieux nous embarquent par le col.
Derrière un côté foutraque à la Cassavetes qui semble capturer des moments de vie, il y a évidemment un énorme travail d'écriture, une réflexion sur les conditions idoines pour obtenir ce qui n'est qu'un effet, une construction de la spontanéité et du naturel, il y a dans ce film beaucoup... de cinéma. Pour revenir sur les acteurs, qui sont au coeur du film, il faut imaginer derrière ces plans serrés le dispositif technique nécessaire, la caméra à vingt centimetres, probablement une densité improbable d'êtres humains dans l'espace exigu d'une voiture qui roule... et justement, le film nous le fait totalement oublier. (je suis allé le voir deux fois, pour m'intéresser avec distance à ces questions mais me suis fait réembarqué en cours de route...) Tout le dispositif se dissimule et se met au service des acteurs et de l'histoire. Une histoire simple d'ailleurs, pas de rebondissement à 10 millions de dollars, juste des faits de vie derrière un éloignement qu'on nous demande de prendre tel quel. L'apparente simplicité de ce film fait sa force, il est à l'os, il ne reste que ces gens et leurs (nos) émotions.
La photographie ( Noé Bach me fera désormais aller voir un film sur son nom) est par ailleurs splendide et mérite à elle seule qu'on aille voir ce film, elle magnifie le regard qu'on sent plein d'amour du réalisateur pour ses acteurs ; ici les humains sont beaux au naturel (encore ce mot...).
J'y suis allé si ce n'est en reculant mais au moins dubitatif. Les références en promo à Sautet et ses abrutis de boomers égoïstes et immatures qui confondent liberté et obnubilation de soi-même, la revendication d’insolence et de punkitude qui cache en général des personnages au conformisme clinquant, à la révolte, là encore nombriliste et surtout toute tracée, le tout dans des apparts parisiens de 200m² payés par papa, je pensais vraiment me barrer avant la fin.
Or Guillaume Gouix offre une vraie proposition, une histoire racontée par sa voix, avec des choix forts, des prises de positions. Les personnages sont dans un égo trip ? On ne verra rien du paysage ni des autres humains. Les adultes embarquent un enfant dans leur monde sans le prendre en considération ? Le personnage est comme relégué au second plan (dans la forme) ou isolé et regarde tout cela, avec une grande intensité, mais comme à distance, etc.
Assez dithyrambique comme avis, certes, Gouix raconte son histoire, son point de vue, j'aurais fait autrement, ses personnages m'énervent parfois, on ne serait pas forcément amis et alors ? Il n'y a pas là de maladresse, j'aime bien ne pas tout aimer, ne pas me faire brosser dans le sens du poil. Je ne vais pas reprocher à ce film d'être "personnel", c'est sa principale qualité. Courrez-y avant qu'il ne soit plus programmé. Ici on vous raconte une histoire avec une voix très très personnelle, on vous conjure d'aimer des gens pas forcément aimables, on met plein d'amour et de tendresse en se disant des gros mots.