Pour comprendre la portée de ce film, il faut le situer dans la filmographie de Wim Wenders. L'État des choses s'éclaire à la lumière du tournage, du montage et des remontages successifs de Hammett, le précédent projet du réalisateur allemand, hommage à l'écrivain et au cinéma US. Wenders, qui avait la cote depuis L'Ami américain, a travaillé quatre ans sur ce projet lancé en 1978 et coproduit par Francis Ford Coppola. Quatre ans de divergences de vues et d'affrontements avec la production, qui se sont soldés par la perte de contrôle partielle du cinéaste sur l'achèvement de son oeuvre, puis l'échec commercial de l'exploitation en salles. Le montage de Hammett était encore en cours lorsque Wenders est parti s'aérer l'esprit au Portugal pour réaliser L'État des choses. Le tournage a été plus ou moins improvisé avec des acteurs amis et d'autres acteurs "récupérés" sur un autre film qui se tournait au Portugal (Le Territoire, de Raoúl Ruiz). Et un scénario écrit au jour le jour. Désabusé, en proie au doute, probablement aussi déstabilisé par son rapport ambivalent au cinéma américain, entre fascination et rejet, Wenders s'est donc plongé dans ce film "libre", dont l'histoire, volontairement détachée de toute narration classique, est un écho symbolique à ses mésaventures d'Outre-Atlantique. Le réalisateur se livre à une méditation vagabonde sur la solitude de l'artiste, la place de l'art dans la société contemporaine, l'art et l'argent, entre autres choses sur la vie en général. C'est sa façon à lui de régler ses comptes avec un système américain où le pouvoir financier l'emporte sur le pouvoir créatif. Mais comme le disait François Truffaut, l'art ne doit pas être un règlement de comptes avec la vie... On a l'impression que Wenders a fait ce film davantage pour lui et pour happy few que pour le public. Difficile, en effet, d'adhérer à cette réflexion nombriliste et intello, qui mêle anecdotes sans grand intérêt et aphorismes plus ou moins pompeux, sur un rythme très étiré en longueur, un rythme marqué par l'attente et l'ennui... Heureusement, le film est très beau esthétiquement, grâce à la photo d'Henri Alekan.