Il existe deux voies d’accès principales pour comprendre la carrière de Martin Scorsese, quoiqu’on ait souvent tendance à oublier ou à négliger la seconde : l’Italo-américain, qui a relaté tout au long de sa carrière les heurs et malheurs de ses compatriotes sur le sol américain, y compris et surtout ce qui touche au gangstérisme, et le catholique fervent, qui a constamment interrogé sa Foi, à la recherche d’une voie médiane entre ses valeurs personnelles et le dogme. Après le feu d’artifice du ‘Loup de Wall street’, ‘Silence’ n’était pas seulement un moyen de prendre le contre-pied radical de cette oeuvre flamboyante mais aussi de faire aboutir un projet qui tient à coeur au réalisateur depuis près de trente ans, après qu’il ait lu le roman de Shūsaku End� sur la difficile situation des Japonais convertis au christianisme au cours de l’ère Edo : deux missionnaires jésuites accostent le Japon des années 1600, à une époque où les catholiques sont persécutés par le Shogunat. Ils sont à la recherche d’un de leurs prédécesseurs, le père Ferreira, que certaines rumeurs accusent d’avoir abjuré sa Foi. A l’écran, le projet, alourdi par son austérité empesée, semble aussi mal embarqué que la mission des deux religieux, qui se cachent dans la campagne, tentent de contacter les communautés locales et célèbrent des offices en secrets. La lenteur du film finit par devenir éprouvante, et l’extrême aridité de la mise en scène échoue curieusement à conférer à ‘Silence� la moindre touche de spiritualité. On craint de se retrouver face à la banale reconstitution historique d’un événement d’essence religieuse. C’est à partir de la capture des deux prêtres que le scénario commence à décoller: la dialectique entre occidentaux et orientaux se mue en un passionnant dialogue de sourds : les Jésuites, prêchant l’amour et la “Vérité�, comprennent mal la manière dont ils sont perçus par leurs ouailles et les mesures radicales prises par le pouvoir japonais sont de l’ordre d’une lutte existentielle pour préserver leurs spécificités et repousser la menace d’une aliénation culturelle. Face au constat que l’émergence d’une communauté chrétienne au Japon est une fausse-victoire (la spiritualité japonaise ne peut s’accommoder d’un Créateur abstrait, et le nécessaire réaménagement de la doctrine pour conquérir les âmes la vide de toute substance), le “chemin de croix� du père Rodriguez est aussi un combat intérieur entre l’esprit et la lettre, la compréhension du message primitif du Christ et le respect du dogme élaboré par ses héritiers : la foi est un cheminement intime, secret, distinct du monde et des contingences extérieures. Rester fidèle à ses valeurs et l’affirmer haut et fort est affaire d'orgueil plus que de conviction si les conséquences de cette obstination vont à l’encontre de ce qui est juste. C’est lorsqu’il saisit au vol l’intériorité d’un croyant dévoré par ses doutes et sa culpabilité, cherchant une rédemption tapageuse dans un sacrifice vain, que Scorsese atteint une forme de grâce : un mécanisme guère différent, du reste, de celui qui avait cours dans ses multiples films de gangsters, à peu de choses près soumis aux mêmes tourments intérieurs.