Comment croire encore et faire tenir sa foi face au Silence ?
Trente ans après la controverse mondiale de La Dernière tentation du Christ (culminant en France avec l'incendie du cinéma Saint-Michel), Scorsese réinvestit la question catholique avec l'adaptation du grand roman de Shusaku Endo.
Si le projet, dont l'idée remonte à 1990, semble moins sujet à polémique, réaliser un film mettant en scène deux prêtres jésuites portugais du XVIIe siècle, partis au Japon sur les traces de leur mentor, soupçonné d'apostasie, revêt tout de même quelque chose de subversif. Surtout lorsqu'on s'appelle Martin Scorsese et que le dernier chef d'oeuvre proposé au public (Le Loup de Wall Street) nous montrait l'argent, la drogue et le sexe en piliers du pouvoir financier.
Goût du contraste donc, mais pas seulement. On remarque dans la filmographie de l'ancien séminariste de Little Italy un soin appuyé à placer l'homme au centre de ses contratdictions. Le héros scorsésien est "Humain" (c'est-à-dire à la fois bon et mauvais) et se laisse entraîner dans une destinée qui cause sa gloire, puis sa perte.
Ici, en se portant volontaires pour aller à la recherche du père Ferreira (Liam Neeson impérial dans la retenue), les prêtes (Andrew Garfield et Adam Driver) partent finalement en quête de leur propre croix. C'est d'ailleurs un reproche que fera Ferreira au héros, Sebastiao Rodrigues, lorsqu'il le retrouvera.
Autre sujet évoqué : l'Universalisme. Faut-il évangéliser des cultures aussi éloignées du judéo-christianisme que le Japon de cette époque ?
Ferreira fait remarquer que le nom utilisé par les convertis pour appelé Dieu est le même que celui qui désigne le Soleil.
Et, si l'on ne peut être qu'ébranlé par la violence de la répression opérée par les troupes de l'inquisiteur Inoue (Issei Ogata) et l'inventivité développée en matière de supplices, cette question n'est jamais totalement tranchée.
L'un des symboles de cette difficulté de l'Universalisme chrétien prend forme dans la figure de Kichijiro (Yosuke Kubozuka, acteur inconnu mais parfait dans l'incarnation au sens propre du rôle). Après avoir été le seul survivant de sa famille, qu'il a vu faire exécuter sous ses yeux, il renie le christ à tour de pied pour échapper aux purges. Ce qui ne l'empêche pas d'être rongé par le remord et de suivre le père Rodrigues dans tous ses déplacements.
"J'espère qu'il souffre autant qu'eux" dit ce dernier lorsqu'il le voit cracher sur la croix à la demande des hommes d'Inoue, ce que trois autres paysans refusent de faire, au prix de leurs vies.
Personnage le plus lâche, cet avatar de Judas nous apparaît en fait progressivement comme le plus chrétien, car faillible. C'est également à travers Kichijiro que Rodrigues trouvera réellement sa foi et surmontera ses doutes.
En effet, quelques temps après avoir lui-même renié sa religion à son tour, le prêtre le confesse une énième fois.
Mais cet acte, qui semblait le dégoûter jadis tant il s'avérait vain, l'entraîne vers une introspection aussi profonde que déterminante, creusant ses doutes et le silence divin face à la brutalité des hommes.
Kichijio est la clé qui
, une fois Rodrigues apostat lui-même,
ouvre la porte de ses réponses.
C'est justement dans le silence que Dieu manifeste le plus sa présence, puisque le silence pousse à penser, à s'interroger et donc à douter.
"J'étais là et je luttais avec toi" lui dit la Voix. Phrase terriblement simple autant qu'efficace dans l'esprit du prêtre, et à travers lui du spectateur que Scorsese pousse à s'identifier.
Rodrigues meurt sous un nom bouddhiste qui signifie "Perdu aux yeux de tous", avec une femme qui lui a été confiée veuve et des enfants qu'il a donc dû adopter. Avec lui s'éteint une idée de l'expansion catholique au sein d'un Japon qui entre dans son ère Edo.
Dans la scène finale, à l'esthétisme légèrement kitsch, Scorsese nous entraîne à l'intérieur du cercueil jusqu'à sa poitrine contre laquelle sa main tient un crucifix, glissé par sa femme. Signe que dans l'effacement et le reniement comme dans le silence, la lutte n'est finalement jamais perdue.