Quand la bête efface la belle
Du grand feu ne restent que les braises, c’est le titre original qu’Anais Tellenne avait d’abord choisi pour son 1er film. Et un 1er film, ça vaut toujours d’être vu, surtout quand, comme ici, on assiste à la naissance d’une cinéaste originale et plus que talentueuse. 94 minutes exigeantes mais jamais élitistes. Raphaël n’a qu’un œil. Il est le gardien d’un manoir dans lequel plus personne ne vit. À presque 60 ans, il habite avec sa mère un petit pavillon situé à l’entrée du grand domaine bourgeois. Entre la chasse aux taupes, la cornemuse et les tours dans la Kangoo de la postière, les jours se suivent et se ressemblent. Par une nuit d’orage, Garance, l’héritière, revient dans la demeure familiale. Plus rien ne sera plus jamais pareil. Ce tout petit film est une pépite dont il ne faut surtout pas se priver.
Voilà un film qu’on regarde plus avec le cœur qu’avec le cerveau. Bien sûr, on pense d’emblée à Jean Cocteau et son adaptation du mythe de La Belle et la Bête – même si on est loin de son imaginaire si personnel. Ici, tout est beaucoup plus prosaïque et ce serait une nouvelle version de Pygmalion à laquelle il nous est donné d’assister. On a l’impression, durant tout ce drame poétique, de feuilleter une sorte de livre d’images, c’est sans doute dû au format 1,5 qui est plus réservé à la photo qu’au cinéma. La beauté des sentiments, la mélancolie qui plane en permanence, l’originalité du propos, tout est réuni dans ce scénario pour toucher le spectateur au plus profond.
Côté casting, je dirais ouf, enfin ! On donne un 1er grand rôle à cet acteur hors du commun, Raphaël Thiéry. Ce comédien a toujours été, jusque là, cantonné à des petits rôles. Son physique pour le moins particulier n’y est évidemment pas pour rien. Ici, la réalisatrice le film avec gourmandise. Bouleversant, il écrase le film de sa prestance colossale à contrario d’une naïveté désarmante et enfantine et s’élève ainsi au-dessus de la masse vaniteuse que peut-être l’art contemporain. Face à lui, Emmanuelle Devos est parfaite. Les deux autres femmes de ce conte moderne, Mireille Pitot et Marie-Christine Orry, sont également épatante. On est totalement fasciné par cette œuvre atypique et par la maîtrise de sa réalisatrice grâce à laquelle la bête devient belle. Pure merveille.