Autopsie d’une solitude
L’iranien Babak Jalali nous propose tout en finesse le portrait d’une déracinée, qui tente de briser la solitude. 88 minutes d’une subtilité rare. Donya, jeune réfu¬giée afghane de 20 ans, tra¬vaille pour une fabrique de for¬tune cookies à San Fran¬cis¬co. Ancienne tra¬duc¬trice pour l’armée amé¬ri¬caine en Afgha¬nis¬tan, elle a du mal à dor¬mir et se sent seule. Sa rou¬tine est bou¬le¬ver¬sée lorsque son patron lui confie la rédac¬tion des mes¬sages et pré¬dic¬tions. Son désir s’éveille et elle décide d’envoyer un mes¬sage spé¬cial dans un des bis¬cuits en lais¬sant le des¬tin agir… Un de mes coups de cœur de cette fin d’année.
D’abord, il faut savoir que Fremont est une ville de la baie de San Francisco qui abrite la plus grande communauté afghane des Etats-Unis. Outre l’intérêt que l’on porte dans ce drame doux-amer à cette communauté d’immigrés, le regard s’est porté ici en priorité sur une femme afghane, combattant ainsi les clichés qui les montre quasi systématiquement cloîtrées, pauvres, opprimées, toujours dans la souffrance, toujours victimes. Bien que l’héroïne soit une femme immigrée, solitaire, faisant un job alimentaire qui ne correspond pas à ses qualifications, le personnage de Donya n'apparaît pas comme une victime, mais comme une femme digne et déterminée. A l’image des fortune cookies qui sont au centre de l’intrigue, le film donne simplement une piste de questionnement, un petit rayon d’espoir, et laisse entrevoir certaines possibilités de la vie. Bien que tourné en 4/3, en plans fixes et en noir et blanc, ce film lent et volontairement répétitif, n’engendre pas un instant d’ennui. Cette petite perle a reçu le Prix du Jury à Deauville et c’est amplement mérité. A découvrir de toute urgence.
C’est un 1er rôle pour l’afghane Anaita Wali Zada et c’est une vraie découverte. J’espère qu’on la reverra. Elle est entourée par Hilda Schmelling, Avis See-tho, Jérémy Allen-White, Greg Turkington, tous très sobres, très justes, forment une galerie de personnages plus ou moins névrosés mais qui apportent leur pierre à cet édifice original mais tellement attachant. Jalali préfère en rire et c’est tout à son crédit. J’ai irrésistiblement pensé au Paterson de Jarmush ou à l’univers de Kaurimäki, et ce ne sont pas les moindres des références. Un sommet de comédie dramatique.