Seul film hollywoodien de Stanley Kubrick, "Spartacus" est aussi son moins personnel et celui dans lequel il est le plus difficile de retrouver les qualités habituelles du cinéaste, à savoir des plans à la beauté plastique irréprochable ou un scénario subtil présentant des personnages tentés par la cruauté. Ses films précédents montraient sa maîtrise dans le domaine de la mise en scène mais aussi son habileté scénaristique qui explosait dans "Les Sentiers de la gloire", faisant de lui le digne héritier d'Orson Welles ; ses longs métrages suivants seront quant à eux des chefs-d’œuvre visionnaires, d'abord d'une incroyable finesse dans l'écriture ("Lolita", "Docteur Folamour ou : comment j'ai appris à ne plus m'en faire et à aimer la bombe") puis des œuvres d'une puissance esthétique révolutionnaire ("2001 : L'Odyssée de l'Espace", "Orange Mécanique", "Shining"). "Spartacus" reste lui très classique et détonne un peu dans cette filmographie ; pourtant, il est justement un classique du septième art. Certes, un autre réalisateur aurait pu obtenir un résultat similaire, mais s'il est bien impersonnel, ce film n'en demeure pas moins un chef-d’œuvre du genre. Péplum subtil et prenant, il parvient à échafauder un grand spectacle tout en évitant les pièges du manichéisme, car si le personnage de Kirk Douglas apparaît bien comme un héros sans reproche, ses ennemis ont un comportement beaucoup plus ambigu. Les scènes se déroulant à Rome sont d'ailleurs les meilleurs grâce aux excellents dialogues intervenant lors des débats politiques, d'une grande finesse et recelant un certain humour en plus de la précision historique. Peter Ustinov (qui a obtenu un Oscar bien mérité pour ce rôle) et Charles Laughton apparaissent d'une certaine façon comme les véritables personnages principaux, leurs conversations étant savoureuses et leurs interprétations talentueuses.
La mise en scène est elle aussi extrêmement réussie : elle a beau être plus plate que dans les autres films du cinéaste, force est de reconnaître que la reconstruction historique trouve une puissance hors du commun lors des plans larges ou des plans d'ensemble, qu'ils interviennent lors des combats de gladiateurs, des batailles ou des vues sur la ville. De même, certaines scènes de dialogue sont dotées d'une atmosphère qui les met en valeur de façon changer la perception des spectateurs sur leur connotation. Ainsi, en filmant une scène de bain par un plan fixe et en l'agrémentant d'une lumière bleutée et d'une musique lancinante, Kubrick rend confortable un dialogue sur la bisexualité à mots couverts, comme une invitation au public. Dans l'ensemble, la musique est quant à elle plutôt réussie, avec quelques mélodies vraiment superbes mais aussi un thème romantique mièvre au possible et qui abaisse les scènes entre Spartacus et Varinia. Après tout, il est vrai que cette relation amoureuse est assez peu crédible et constitue sûrement le point faible du film, sûrement à cause de Jean Simmons qui est vraiment peu intéressante dans ce rôle, mais il est notable que Kirk Douglas perd lui aussi de sa légitimité quand il déclame son amour. S'il est l'initiateur du projet et qu'il porte le film dans un grand nombre de scènes, il faut bien constater qu'il n'est pas tout le temps à son plus haut niveau et qu'on ne peut le considérer comme le meilleur acteur de la distribution. Cela dit, il est difficile d'imaginer l'esclave thrace incarné par quelqu'un d'autre.
Ainsi, si "Spartacus" n'est pas le point culminant de la carrière de Kubrick, il reste un film marquant dans l'histoire d'Hollywood ; qu'il soit ou non aussi évident que "Ben-Hur", il possède la même puissance.