Auréolé d'une critique à genoux, Peaky Blinders a tout de la série télé incontournable. Casting cinq étoiles, cadre méconnu (l'émergence d'une mafia dans l'Angleterre post-révolution industrielle) et brassage d'influences diverses (Le Parrain, Gangs of New York, la britpop). Crime, sexe, politique et famille dysfonctionnelle ; que demander de plus ? Au premier abord, le feuilleton coche toutes les cases pour faire un bingo. Dans les faits, la réussite sera très relative.
Comme de nombreuses consœurs, la création du scénariste Steven Knight se distingue par sa grande inconstance d'une saison à l'autre.
La première volée d'épisodes pose les premières pierres de façon limpide. Le casting tient la baraque, pour la mise en scène c'est encore balbutiant. Le réalisateur Otto Bathurst (qui commettra l'ignoble Robin des Bois avec Taron Egerton) n'est pas des plus soigneux, il faut donc attendre l'arrivée de Tom Harper pour que les enjeux se dessinent avec plus d'éclat. Pas franchement originale voire grossière dans certaines évolutions téléphonées (le personnage de Grace, par exemple), l'introduction a la chance de pouvoir compter sur ses interprètes, en particulier Cillian Murphy, Helen McCrory et Sam Neill.
La deuxième saison est incontestablement la plus aboutie. L'intrigue est beaucoup mieux cernée, approfondissant significativement son trio de tête jusqu'à l'épisode final effervescent. Seul metteur en scène sur l'ensemble des 6 épisodes, Colm McCarthy élève le niveau d'ambition derrière la caméra et instaure définitivement la charte esthétique de Peaky Blinders, que ces successeurs s'efforceront de suivre...avec beaucoup moins de succès.
Plus en confiance (?), Steven Knight élargit le cadre, ajoute toujours plus de personnages et assène quelques retournements maousses. Ce qui fonctionne généralement sur les deux premiers épisodes puisqu'ils jouent avec l'idée d'un chambardement aussi bien à l'intérieur de la famille que dans le rapport de force avec ses opposants. Des promesses qui s'effritent quelque peu voire s'effondrent carrément faute d'avoir su garder un cap net.
La saison 3 s'apparente à une régression, Knight ne tissant qu'une toile brouillonne, confuse ou simplement perturbante. Les nouvelles perspectives étaient un trompe-l'œil : personnages qui stagnent, antagoniste insignifiant en plus d'axes introduits à la sauvage (Michael et le prêtre) quand ils ne sont pas sabordés sans avoir eu le moindre impact sur l'ensemble (la révolte féministe, au hasard). Ajoutons à cela l'usage plus qu'abusif du ralenti, qui rapproche dangereusement la série du ringard. Sans l'énergie déployée par sa troupe, c'était le saut de l'ange. On l'évite certes mais l'impression générale renvoie à un parapet qu'on se prendrait en plein estomac.
Fort heureusement, le chapitre 4 se révélera plus assuré sur ce qu'il raconte sans faire oublier certaines scories d'écriture ou de direction artistique. Le surjeu semble être une ligne directrice pour les adversaires, Adrian Brody s'ajoute à la liste après Noah Taylor ou Tom Hardy. Il n'est pas aidé par la construction de cette étape (pourtant décisive), dont les quelques bonnes idées sont encore une fois traitées par dessus la jambe. J'en veux pour preuve le sort réservé à Arthur qui n'a pas avancé d'un pouce depuis le début et se retrouve au centre d'un double twist final atterrant. Le motif de dissensions internes (purs moteur de tragédie) est une nouvelle fois insinué puis abandonné sans sommation.
Des défauts qu'on retrouve dans la cinquième partie même s'ils se font plus discrets. Passons sur le procédé éculé (ridicule même) de visions parasitaires, faisons le deuil d'un Arthur plus timoré pour l'embrasser dans sa bouffonnerie, ou du grand méchant pas très subtil, fermons les yeux lors de ces ralentis interminables,...Ça fait beaucoup, cependant cet avant-dernier round est le plus tranchant après la saison 2. S'il est conçu en tant qu'étape transitionnelle vers le grand final, il y a pas mal de richesse devant la caméra, quelques beaux plan-séquences et un final stimulant.
Le bilan est donc mitigé, beaucoup de positif, beaucoup de négatif. Peaky Blinders n'a pas l'autorité ni la virtuosité des plus grands shows télé, loin de là. En cause, de gros problèmes d'élagage ou de renouvellements au niveau scénaristique et quelques effets de manche épuisants. Avec un tel casting et une bande originale entraînante, c'est un peu dommage. Croisons les doigts pour que le dernier tour de piste (avant le film ?) recolle les morceaux pour emmener cette fresque disloquée vers le sommet avant de tirer le rideau.