L’histoire du cinéma est faite de chefs d’œuvre mais aussi de navets, de films à scandale, de films inachevés ou même jamais tournés. Mais certains, souvent des chefs d’œuvre, sont devenus célèbres pour les conditions dantesques de leur production et de leur tournage qui ont parfois failli virer à la catastrophe en entraînant par le fond les studios. Le plus célèbre d’entre eux est « Cléopâtre » de Joseph L. Mankiewicz dont la production dans son ensemble reste désormais plus connue que le film lui-même. On peut citer pêle-mêle : « Le Parrain », « Apocalypse now », « Aguirre, la colère de Dieu”, « L’exorciste », « Le convoi de la peur », « Fitzcarraldo », « Les Oiseaux », « Blade Runner », « La porte du Paradis », « L’Odyssée de l’African Queen » ou « Le salaire de la peur ». On retrouve souvent à leur conception des réalisateurs très talentueux, réputés caractériels et perfectionnistes à l’extrême. Dans la courte liste citée plus haut, on pourra remarquer que Francis Ford Coppola , William Friedkin et Werner Herzog sont cités deux fois aux côtés d’Henri-Georges Clouzot, Alfred Hitchcock, Michael Cimino et Ridley Scott. Francis Ford Coppola est connu pour être l’un des plus grands réalisateurs américains de la seconde moitié du XXème siècle et l’un des papes du Nouvel Hollywood. Quand
il est recruté par Robert Evans pour diriger « Le Parrain », il est encore peu connu en dehors du milieu du cinéma où il est déjà réputé comme scénariste ayant reçu un Oscar pour « Patton » (1971) de Franklin J Schaffner. De son côté, le livre éponyme de Mario Puzo paru en 1969, est un énorme succès.
Il semblait donc comme une évidence qu’un studio comme la Paramount allait se porter acquéreur des droits d’adaptation. Robert Evans, patron du studio, contacte tout d’abord Sergio Leone qui a déjà en tête et depuis longtemps son propre projet de méta film sur la mafia (« Il était une fois en Amérique »). Défilent ensuite dans le bureau d’Evans Peter Bogdanovich, Peter Yates, Richard Brooks et Costa-Gavras. Mais le producteur avisé reste persuadé que
seul un italo-américain derrière la caméra pourra rendre compte de l’ensemble des dimensions du roman. Comme il le dit lui-même : « le film doit sentir le spaghetti ». Une équipe se forme progressivement autour d’Evans avec Albert S. Ruddy comme producteur délégué, Coppola et Puzo à l’écriture du scénario. Les embûches seront nombreuses notamment avec la mafia new yorkaise soucieuse de l’image que donnera le film de l’organisation, Frank Sinatra qui croît se reconnaître dans le chanteur John Fontane propulsé vers les sommets par Don Corleone (Marlon Brando), la municipalité de New-York refusant le tournage dans ses rues et surtout les difficultés financières de la Paramount. Un cocktail explosif auquel s’ajoute les exigences de Coppola qui ne veut rien lâcher sur sa vision artistique. Albert S. Ruddy très peu expérimenté devra jouer l’homme-orchestre pour réussir à mener à bon port le paquebot que représente un tel projet
. Le résultat sera celui que l’on connaît avec un chef d’œuvre absolu, premier chapitre d’une trilogie qui fera date. « Le Parrain I » à coté de Citizen Kane » d’Orson Welles est considéré par L’American Institute of Film comme le plus grand film de l’histoire du cinéma. La Paramount a choisi de célébrer le cinquantième anniversaire du « Parrain » en proposant aux fans du monde entier une série qui racontera par le menu la création du film de sa genèse jusqu’à la cérémonie des Oscars de 1972 qui le consacre avec onze nominations et trois statuettes majeures (meilleur film, meilleur acteur et meilleur scénario adapté). De mémoire rien de tel n’avait jamais été tenté. C’est Michael Tolkin, scénariste confirmé (« The player » de Robert Altman) qui se charge d’orchestrer la narration qui sera menée à partir du regard de celui qui sera la clef de voûte de ce projet très ambitieux mais aussi relativement modeste en terme de budget compte tenu des difficultés de la Paramount au moment. Sur tous les fronts,
Albert S. Ruddy doit gérer la tendance mégalomaniaque de Coppola peu concerné par les contraintes budgétaires alors qu’avec Mario Puzo ils sont en train de s’empiffrer au bord d’une piscine tout en tentant de venir à bout du scénario. Mais aussi les soubresauts dépressifs d’un Robert Evans qui vient de découvrir que son épouse Ali Mac Graw file le parfait amour avec Steve McQueen sur le tournage de « Guet-Apens » de Sam Peckinpah. Tout comme les fureurs de Charles Bludhorn, le patron de Gulf and Western Industries (conglomérat incluant la Paramount dans ses filiales), face aux dépenses qui filent et au temps de tournage qui s’allonge. Enfin et surtout, une mafia avec laquelle il a été obligé de pactiser
. L’ensemble de ces avanies sont connues des cinéphiles grâce aux témoignages présents dans différents documentaires et dans l’autobiographie savoureuse de Robert Evans (« The kids stays in the picture »). Faire de cette aventure une série de dix épisodes était un sacré pari. L’entreprise est totalement réussie, à croire que tout ce qui touche au « Parrain » se transforme en or. Tout d’abord la narration parfaitement fluide qui permet aux néophytes et aux plus jeunes de ne pas se perdre dans les méandres d’Hollywood. La reconstitution historique tout-à-fait réaliste. La B.O d’Isabella Summers complétement immersive. Enfin et surtout les acteurs tous investis, resplendissants et charismatiques en diable de Miles Teller (Albert S. Rudd) à Matthew Goode (Robert Evans) en passant par Burn Gorman, Giovanni Ribisi, Dan Fogler, Juno Temple, Colin Hanks ou encore Joey Russo. Sans doute portés par la fierté d’inscrire leurs pas dans ceux de leurs célèbres aînés et ainsi contribuer modestement à la légende. On ne s’ennuie donc pas une seconde, complétant sa culture cinématographique tout en voyant les protagonistes de cette formidable odyssée, s’encourager, frotter parfois durement leur ego puis se décourager pour finalement toujours pousser dans le même sens afin de faire aboutir ce que chacun au fond de lui-même pressent être un futur chef d’œuvre du cinéma en construction. Cela s’appelle tout simplement l’intelligence collective. Une vertu aujourd’hui de plus en plus difficile à faire éclore. Voilà donc une série qui à son tour fera date en mettant à l’honneur le métier de producteur très souvent décrié car très méconnu. Un seul petit regret, l’oubli du compositeur Nino Rota sans la musique envoûtante duquel « Le parrain » ne serait pas tout-à-fait ce qu’il est.