Un film ancré dans l’actualité…
Le 16 septembre 2022, en Iran, Mahsa Amini succombe aux coups de la police des mœurs car elle ne portait pas « correctement » son voile. Sa mort provoque une vague de protestations populaires qui enflamme le pays et de ces manifestations naîtra le mouvement Femme, Vie, Liberté. C’est dans ce contexte que s’ancre le nouveau film de Mohammad Rasoulof.
Iman, un père de famille, est promu juge d’instruction au tribunal révolutionnaire de Téhéran. Malgré les absurdités du système et ses injustices, il choisit de s’y soumettre. À la maison, ses deux filles, Rezvan et Sana, soutiennent les manifestations tandis que sa femme, Najmeh, se fait médiatrice des deux camps.
L’équilibre de la famille est menacé le jour où le révolver de service d’Iman disparaît, provoquant une paranoïa allant en crescendo jusqu’à atteindre son point culminant dans la dernière demi heure du film, qui change le long-métrage en un thriller glaçant empli d’un symbolisme percutant.
… en proie à la censure
Primé à Cannes, Les Graines du figuier sauvage, qui sort en salle cette semaine, a reçu le Prix Spécial du Jury, un symbole fort et l’occasion pour le cinéaste Mohammad Rasoulof de réaffirmer son militantisme en abordant le contexte politique et social de son pays.
« Le régime iranien actuel ne reste au pouvoir que par la violence infligée à son propre peuple, affirme le réalisateur. Dans ce sens, le révolver dans mon film est une métaphore du pouvoir au sens large. Elle permet également aux protagonistes de révéler leurs secrets, qui émergent progressivement, avec des conséquences tragiques. »
En 2017, Mohammad Rasoulof reçoit le Grand Prix de Cannes pour son long métrage Un homme intègre qu’il présente également au Festival de Telluride. En rentrant des États-Unis, le passeport du cinéaste est confisqué et il se retrouve privé de sa liberté de circuler et de travailler. Après de nombreux interrogatoires, il est condamné à un an de prison ferme en juillet 2019, suivi de deux ans d'interdiction de sortie du territoire et d’une privation de se livrer à la moindre activité sociale et politique.
C’est dans la clandestinité la plus totale qu’il réalise alors Le Diable n’existe pas, un plaidoyer contre la peine de mort, qui a reçu le prestigieux Ours d’or lors de la Berlinale 2020. La remise du prix est marquée par l’absence du réalisateur alors sommé de se présenter à la justice iranienne afin de purger sa peine de prison pour « propagande ».
En mai 2024, il quitte en secret l’Iran pour s’exiler en Europe et présente au même moment en compétition à Cannes son nouveau film tourné lui aussi clandestinement : Les Graines du figuier sauvage.
Mohammad Rasoulof a dû réaliser son dernier long-métrage dans le secret des autorités iraniennes et s’entourer d’une équipe partageant les mêmes convictions, consciente des risques encourus. Il retrouve deux comédiens, Misagh Zare (Iman) et Reza Akhlaghirad (Ghaderi) avec lesquels il avait travaillé sur Un Homme intègre. La mère (Najmeh) est quant à elle interprétée par l’excellente Soheila Golestani qui avait adopté un positionnement clair en faveur du mouvement Femme, Vie, Liberté, ce qui lui avait valu une peine d’emprisonnement.
Pour le rôle des deux sœurs, le cinéaste ne souhaitait pas engager d’adolescentes qui ne seraient pas conscientes des risques qu’elles prenaient. Setareh Maleki (Sana) et Mahsa Rostami (Rezvan), sont relativement éloignées de leurs rôles respectifs en termes d’âge ce qui, à l’écran, ne se remarque absolument pas puisque leur jeu est d’une justesse impressionnante.
Formidable dans la sobriété de son esthétique et dans la construction de son intrigue, poignante et gorgée de subtilité, Les Graines du figuier sauvage voit son statut de chef-d’œuvre confirmé par le courage nécessaire à sa réalisation.
Quand la violence s’infiltre dans l’intime
L’intrigue, dense et intense, est entrecoupée d’images documentaires d’une puissance inouïe, celles de femmes et d’hommes du mouvement malmenés et abattus par des policiers ayant le droit de vie ou de mort sur les manifestants, amplifiant ainsi la puissance du propos. Tandis que leur mère observe la propagande de la République islamique à la télévision, Rezvan et Sana se cachent pour regarder les vidéos capturées dans les manifestations, illustrant une scission générationnelle criante.
On assiste à l’intrusion du régime iranien dans l’intimité d’une famille dont les femmes élèvent progressivement la voix face à une logique patriarcale ancrée dans chaque mot et geste. Il ne s’agit plus de « tuer le père » pour s’émanciper du foyer familial mais de se dresser contre lui afin d’abattre toute une institution religieuse violente.
« Les graines [du figuier sauvage], contenues dans des déjections d’oiseaux, chutent sur d’autres arbres. Elles germent dans les interstices des branches et les racines naissantes poussent vers le sol, raconte le réalisateur. De nouvelles branches surgissent et enlacent le tronc de l’arbre hôte jusqu’à l’étrangler. Le figuier sauvage se dresse enfin, libéré de son socle. »
Grâce à ce film dont la beauté est à la hauteur de sa portée politique, Mohammad Rasoulof plante lui aussi une graine d’espoir dans les esprits de ceux qui le verront et laisse espérer un vent nouveau pour le peuple iranien dont le désir d’émancipation gronde toujours plus fort.
Les Graines du figuier sauvage sort en salle cette semaine.