Mon compte
    "Qui m'aime me suive" : rencontre avec l'équipe du film

    Après "Nos enfants chéris", Romane Bohringer, Mathieu Demy et le réalisateur Benoît Cohen nous parlent de leur nouvelle collaboration, "Qui m'aime me suive".

    Allociné : On retrouve souvent le thème du changement de vie dans vos films. Pourquoi cette thématique vous tient-elle autant à coeur ?

    Benoît Cohen : Quand j'avais 20 ans, je n'étais pas angoissé par la vie, je ne me posais pas tellement de questions, j'avançais en me disant "advienne que pourra"... Et c'est vrai qu'avec la trentaine, il y a des responsabilités de couple, des responsabilités vis à vis de ses enfants... On commence du coup à se sentir un peu plus indispensable donc à penser un peu à la mort, à la vie qui passe et donc à la nécessité d'en profiter. On se dit qu'il faut faire ce qu'on a à faire, vivre sa vie à tout prix parce que le temps passe et qu'il ne faut pas le perdre. On se pose la question "Est-ce que ma vie est celle que j'ai choisie ?". La réponse, dans mon cas, est oui, puisque je suis très heureux à la fois professionnellement et dans ma vie personnelle, mais on ne peut pas s'empêcher de penser à ceux qui ne vivent pas la vie qu'ils voulaient vivre ou qui sont enfermés dans des schémas, dans des carcans familiaux ou professionnels. Il y a une continuité de réflexions entre Nos enfants chéris, qui était plus une réflexion sur le couple, et sur le fait que d'avoir des enfants vous enferme dans quelque chose, même si c'est merveilleux, et ces responsabilités vous enlève un peu de liberté, même si ça en apporte par ailleurs. On avait envie de parler de ça. Et puis après ce film, on s'est dit qu'une fois que les enfants sont arrivés, on recommence à travailler mais cette petite parenthèse a pû nous faire comprendre qu'on faisait fausse route.

    Vous avez dit vous inspirer beaucoup de Tchekhov. Comment exploitez-vous son oeuvre ?

    Depuis des années avec Eléonore Pourriat on tourne autour de Tchekhov, on avait d'ailleurs commencé à écrire une adaptation de La Mouette et d'Ivanov en mélangeant les deux pièces, au moment où on a finalement décidé d'écrire Nos enfants chéris. Ensuite on a vu le film de Claude Miller La Petite Lili arriver sur les écrans donc ce n'était plus tellement d'actualité. Il y a d'abord ce groupe et cette idée de tous ces personnages extrèmement bien dessinés, et puis ce qui nous plaît énormément dans Tchekhov c'est son côté comi-tragique. Ce qu'on a vraiment essayé de faire avec Qui m'aime me suive c'est, comme ce qu'a fait Tchekhov, de faire une comédie lourde de sens dans laquelle il peut y avoir de la tragédie. On a surtout essayé de faire rire les gens, tout le début du film est d'ailleurs assez drôle, mais aussi de provoquer de vraies émotions et éventuellement de faire pleurer le spectateur. C'est ce qui me touche beaucoup chez Tchekhov, je me retrouve à rire et dans la seconde qui suit je suis au bord des larmes.

    Quels sont les avantages et les inconvénients de retrouver les mêmes acteurs ?

    Les avantages c'est de se connaître de plus en plus et donc de pouvoir aller à l'essentiel et de pouvoir creuser les idées parce que souvent un film ne suffit pas. Les bons comédiens, et je ne suis entouré que de bons comédiens, ont plusieurs facettes, et souvent avec un personnage on exploite qu'une petite partie de cette richesse. Donc il y a vraiment une volonté de continuer à chercher ensemble des directions. Comme on écrit toujours en pensant aux comédiens, on essaye d'écrire des rôles à contre-emploi pour les prendre à contre-pied pour les étonner voire parfois leur faire un peu peur. Par exemple au début, quand Romane a découvert son rôle d'avocate elle était un peu inquiète voire un peu malheureuse, même pendant le tournage elle se demandait ce qu'elle faisait là et elle aurait préféré être au micro et à la guitare dans une énergie qu'elle connaît et dans laquelle elle excelle et tout à coup c'était quelque chose de plus difficile à gérer pour elle. Au bout du compte je trouve que le personnage d'Anna est très intéressant pour ça, parce qu'on a aussi une actrice qui se cherche, qui n'est pas sur des sentiers battus. L'inconvénient possible c'est le confort. On sait à qui on a à faire et on a moins peur alors que parfois le fait d'avoir peur peut aider à sortir de belles choses. Là on est dans quelque chose de plus connu donc forcément il y a toujours le risque du train-train qui s'installe et avec la fatigue on peut facilement se laisser aller à cette facilité donc il faut être très vigilent.

    Comment avez-vous choisi de confier à Eléonore Pourriat le rôle de Chine ?

    D'abord parce qu'on écrit le scénario ensemble et Eléonore avait eu deux rôles moins importants dans les autres films. J'ai eu envie de lui donner ce rôle là parce que ce qui est bien avec une troupe c'est que les acteurs les plus connus n'aient pas toujours les rôles les plus importants. J'ai toujours été contre ce système qu'on peut difficilement contourner parce qu'on sait que les films qui font des entrées sont des films qui ont un casting. On est obligé de prendre ça en compte mais c'est vrai que j'aime bien l'idée que ça tourne, que ce ne sont pas toujours les mêmes qui jouent les rôles principaux et toujours les mêmes qui leur servent la soupe. Il était aussi nécessaire que le personnage de Chine soit joué par une actrice peu connue parce que je ne voulais pas que dès le début, quand Max entre dans ce bar et qu'il la voit jouer de la guitare, on se dise " Tiens c'est Romane Bohringer donc elle va forcément finir à l'Olympia à la fin ". Il y a chez le spectateur un doute sur la direction que va prendre l'histoire parce qu'on le prend à contre-pied en ne mettant pas forcément les gens qu'il aurait attendu dans certains rôles .Le fait qu'Eléonore soit moins connue peut créer cette espèce de questionnement chez le spectateur qui se demande qui est cette fille, si c'est réellement une chanteuse ou si c'est une actrice... Donc je trouvais ça intéressant. On m'a même demandé, quand j'ai commencé à présenter le projet et que je suis allé voir les maisons de disques, pourquoi je prenais ce musicien et pas Kyo ou M. C'était la même chose, si le type commence à gratter sa guitare et à chanter du M, il n'y a plus de grand suspense à savoir si il va réussir ou pas son pari. Là au moins personne ne connaît cette musique, certains l'aiment, d'autres ne l'aiment pas, ce n'est pas important, ce n'est même pas le sujet du film, c'est de la musiqueque n'importe qui pourrait faire s'il se mettait à la musique. J'aime beaucoup cette musique mais elle n'est pas connotée de succès de même que le fait d'avoir une actrice peu connue pour jouer ça n'est pas connoté de quelqu'un qui justement a ce potentiel d'avoir du succès.

    Eléonore Pourriat a décidé de suivre une carrière musicale suite au film en gardant le pseudonyme de Chine, nom de son personnage dans "Qui m'aime me suive". La fiction dépasse-t-elle la réalité ?

    C'est vrai que c'est particulier c'est pour ça que c'est intéressant. L'idée que je trouvais très amusante c'est que ce personnage et sa vocation de chanteuse sont arrivés avec ce film. Eléonore Pourriat a travaillé pour ce film et donc l'idée est de prolonger ce personnage dans la vraie vie et d'en faire un personnage de scène. De toute façon un personnage de scène est un personnage fictionnel. C'est vrai qu'elle a un look, elle a une attitude, elle a une manière de chanter qui lui est propre et c'est amusant de prolonger ça. C'est sa volonté à elle mais je trouve qu'en plus il y a quelque chose dans la manière dont son personnage peut exister à part bien sûr si le film ne marche pas. Si il ne marche pas du tout, tout le monde aura oublié la Chine de Qui m'aime me suive dès le 6 juillet ! Mais si le film marche un peu ça peu être amusant et intrigant et ça je pense que ça peut fonctionner.

    La musique tient une place importante dans vos films, que représente-t-elle pour vous?

    Même si je suis très heureux de faire des films, c'est vrai que j'aurais adoré faire de la musique. Je pense que c'est l'expression ultime de la liberté. Ensuite c'est vrai que la musique est souvent un refuge et ce qui m'intéresse aussi beaucoup c'est que j'avais toujours eu du mal à utiliser la musique comme musique de film et dans Qui m'aime me suive il n'y a pas de musique additionnelle, tout est joué sur scène ou en live. De voir la musique à l'image je trouve ça très excitant d'autant plus que c'est le sujet du film et que la musique rock est le symbole de la liberté. Max part d'un carcan très fort aussi bien social que familial et la musique, et le rock en particulier, est le symbole le plus fort de la liberté.

    Pour écrire Qui m'aime me suive vous vous êtes inspiré de la vie d'un de vos amis et collaborateur Léonard Vindry...

    C'est un ami très proche, on travaille ensemble depuis trois films. Il a décidé d'arrêter le cinéma pour se lancer dans la musique. C'est sur cette histoire là que je me suis basé et ce sont ses musiques qui ont servi pour faire tout le film. Au moment où on me proposait de prendre des chanteurs connus j'ai refusé car je voulais ses musiques à lui. Le film a été écrit sur ses musiques et pas l'inverse. C'est quelqu'un qui fait entièrement partie de la troupe et de cette aventure.

    Dans quelle mesure Max vous ressemble-t-il ?

    Il doit me ressembler forcément mais ce n'est pas conscient...

    Comment faites-vous au moment de l'écriture pour que tous vos personnages, même secondaires, soient consistants ?

    C'est l'une des bases de notre travail. Même les petits personnages sont des personnages très précis, ont de vrais enjeux. On abandonne jamais des personnages en route. Le fait qu'Eléonore, avec qui j'écris le scénario, soit aussi une actrice aide beaucoup. Elle se met dans la peau du personnage même si ce n'est pas le sien. C'est aussi pour ça que des acteurs qui ont l'habitude de jouer des premiers rôles acceptent de jouer des petits rôles.

    Il y aura une suite à "Nos enfants chéris", pouvez-vous nous en parler ?

    Canal + nous a commandé la suite de Nos enfants chéris en série télé, 12 fois 26 minutes. On commence à tourner dans trois semaines et ce qui est assez intéressant et original dans ce projet c'est qu'Eléonore et moi avons entièrement écrit le scénario et qu'on tourne avec les mêmes acteurs, donc chacun reprend son rôle et c'est moi qui réalise la totalité des épisodes donc ça va être une vraie suite. Trois ans après on se retrouve dans cette maison et on continue l'histoire là où on l'a laissée. On a pas mal déliré et exploré des pistes un peu extrèmes mais c'est écrit vraiment dans le prolongement de Nos enfants chéris.

    Julien Boisselier participera à nouveau à l'aventure ?

    Non, Julien Boisselier est remplacé. C'est le seul qui ne participera pas au tournage.

    N'auriez-vous pas préféré que la suite de "Nos enfants chéris", comme l'original, soit un long-métrage ?

    J'ai souvent été attiré, intrigué, par la télévision et à chaque fois un peu refroidi par les gens que j'avais en face de moi qui étaient dans une demande de formatages tels qu'à un moment donné c'est assez décourageant. Je suis plutôt habitué à être libre dans mon écriture et les gens qui, quasiment à la virgule près me disent ce qu'il faut écrire, ça ne me va pas du tout. Et là j'ai eu l'occasion de travailler pour la télé sur ce format très amusant qui est de 12 fois 26 minutes et de le faire avec la liberté à la fois que nous offre Canal + et qui est la liberté qui vient de notre projet avec nos acteurs et notre écriture à Eléonore et à moi. C'est idéal. Ce qui est bien aussi c'est que je sors Qui m'aime me suive là, dans la foulée je me lance dans la série et j'ai d'autres projets qui sont en cours. Je ne suis pas angoissé, je n'ai jamais essayé de tourner un long-métrage par an, j'aime bien prendre mon temps et trouver de vrais sujets et avoir de vraies envies pour le faire. L'envie du moment c'est la série mais après on refera d'autres long-métrages.

    Propos recueillis par Anna Broujean et Marine Bergère

    FBwhatsapp facebook Tweet
    Commentaires
    Back to Top