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    Du goudron et des plumes : Pascal Rabaté "Je voulais parler de la France non représentée..."

    A l’occasion de la sortie en salles de "Du Goudron et des Plumes", rencontre en toute simplicité avec son réalisateur, Pascal Rabaté, qui nous a parlé de la société française, de bandes-dessinées et même de voitures sans-permis.

    AlloCiné : Contrairement à vos deux films précédents, vous abordez ici un sujet plus moderne, celui de la famille recomposée, avec également une distribution plus jeune. Pourquoi ce choix ?

    Pascal Rabaté : En fait c’est un petit peu comme d’habitude dans ma méthode de travail, j’essaye de casser à chaque fois, non pas les lignes, parce que je pense qu’il y a toujours un fil conducteur qui est celui de la survie, dans laquelle des gens se démènent comme des mouches tombées dans un bol de lait, elles flottent et elles essaient de se débattre, mais c’est vrai que là j’avais envie d’inscrire ce film dans une actualité, un contemporain. Je trouve que la société ne va pas super bien, on est dans quelque chose non pas de mouvant, mais de vaseux. A travers le personnage de Christian (Sami Bouahjilah), qui se situe dans une société périphérique, aux frontières du quart-monde et de la basse couche moyenne, je voulais parler de toute cette France qui n’est pas très représentée, ni en cinéma, ni en littérature, ni même en bande-dessinée.

    AlloCiné : Au départ, Christine, le personnage jouée par Isabelle Carré, ne devait pas être enceinte. Vous avez réécrit le scénario pour elle il me semble ?

    Pascal Rabaté : Oui c’est ça. Le tournage devait avoir lieu six mois avant et puis en fait les financements ont été compliqués. Sami Bouajilah est venu très vite, Daniel Prévost aussi et quand Isabelle est arrivée, j’ai eu le flash grace à ma compagne et je me suis dit « c’est elle c’est évident ». Elle est à la fois fragile et solide, elle a quelque chose d’extrêmement frais, de doux et de super joli là-dedans, du coup elle a adhéré très vite au scénario. Et puis en mai, au moment où l’on attendait les financements, elle a fait appeler son agent pour nous dire qu’elle ne le faisait plus. J’ai rappelé pour savoir pourquoi parce qu’on se demande toujours ce qu’il se passe, si finalement elle s’est rendue compte que c’était mauvais (rires). Elle nous a dit qu’elle était désolée car elle serait enceinte de quatre mois. Comme j’imaginais mal me passer d’elle, j’ai réécris tout le personnage en une nuit pour que son personnage, Christine, soit enceinte. Elle a accouché et donc quand on a commencé le tournage, six mois après, on a fait semblant car la réalité venait de nous servir une chose formidable. C’est ça la magie du cinéma et des hasards, qui fait que tout d’un coup une situation vous emmène ailleurs, un décor aussi.

    A travers le personnage de Christian, qui se situe dans une société périphérique, aux frontières du quart-monde et de la basse couche moyenne, je voulais parler de toute cette France qui n’est pas très représentée, ni en cinéma, ni en littérature, ni même en bande-dessinée.
    Ad Vitam

    AlloCiné : D’ailleurs, en parlant de décors, après la voiture orange sans permis, la golfette insolente, place à la voiture de fonction et sa termite sur le toit. D’où vous vient cette obsession pour les bolides excentriques ? 

    Pascal Rabaté : J’étais fasciné par les voitures sans permis parce que déjà c’est un concept français, comment peut-on avoir une autorisation pour ne pas rouler ? (rires). Je crois que ça touche à l’ordre du jeu. Il y a des enfants qui collectionnaient les voitures de course. Moi, mes parents vendaient des articles de pêche mais un moment ils avaient eu en gérance un magasin de souvenirs et de jouets et donc il y avait de superbes collections de voitures années 20-30 extrêmement bien peintes. Et en fait à 18 ans je me suis aperçu que dans la vitrine j’avais pété toutes ces bagnoles-là sauf trois, celles de Donald et de Picsou, ces voitures un peu ridicules. Et je pense en effet que ça doit être dû non pas à un traumatisme, le traumatisme oui-oui (rires).

    Mais les voitures sans permis sur les récits précédents avaient quelque chose de très fort, je pense qu’un décor, un objet, doit dédouaner un acteur de la surenchère du jeu. Ça me sert vraiment aux personnages, c’est quelque chose à la fois qui aide les comédiens et les spectateurs. Ça doit nous aider à appréhender le personnage. Dans cette histoire je me suis dit qu’à partir du moment où l’on verrait ce véhicule, comme ce film pour moi est une espèce de western, cela nous permettait de dire tout de suite la profession et en même temps c’était en référence aux véhicules dans « Django Unchained », notamment celui avec cette énorme dent. Dans les Lucky Luke ou dans les westerns, c’est le véhicule du docteur qui vendait des élixirs contre la grippe, le mal de dents, le choléra, le typhus etc. enfin toute la panoplie ! Et du coup c’est vrai qu’à partir du moment où elle apparaît il y a à la fois de la comédie et puis un peu de fond derrière. Il va conduire ce véhicule jusqu’au moment où on le renvoie de son emploi, c’est son étiquette, son uniforme et aussi un parasite.

    AlloCiné : Pouvez-vous nous expliquer le titre du film « Du goudron et des plumes ». Il fait référence me semble-t-il à une punition infligé il y a très longtemps aux tricheurs ?

    Pascal Rabaté : Oui c’était un peu le jugement public, je pensais à un moment même que l’on n’y survivait pas, mais en fait ils gardaient leurs habits et on leur passait le goudron qui était chauffé à 60 degrés donc ça faisait une brûlure superficielle. Ce n’est pas un bizutage mais c’était une manière de ridiculiser les tricheurs. Aux Etats-Unis on les faisait même traverser le village sur une poutrelle de chemin de fer et donc c’était l’humiliation publique. Ce film est sur le jugement public. C’est quelqu’un qui est tout d’un coup jeté en pâture au jugement de l’autre, c’est une espèce d’humiliation ultime. Pour moi c’est aussi une rédemption du personnage, c’est quelqu’un qui se sacrifie, qui va au-delà de ses limites, du vertige, qui va au-delà de lui-même. Il paye cher ce sacrifice, je crois qu’il paye une addition très salée pour des petits arrangements avec la vérité. On est dans de l’arnaque de survie, car Christian est lui-même victime de la société pour laquelle il travaille.

    C’est vrai que la France de l’échec ou l’homme dans l’échec, m’intéresse plus que l’homme qui gagne, parce que c’est l’homme qui se relève qui m’importe, pas celui qui s’élève.

    AlloCiné : Vous dressez une galerie de personnages hauts en couleur qui ont chacun leurs travers. Un voisin bègue, un frère dépressif qui travaille dans un magasin de farce et attrape, un père à cheval sur le bio et même un coach sosie de Philippe Lucas. Ces personnages aux traits surlignés semblent tout droit sortis d’une bande-dessinée. De quelle manière le 9ème art nourrit-il vos films ?

    Pascal Rabaté : Je pense que le mot parallèle marche bien, c’est-à-dire que pour moi ce sont deux traverses de chemins de fer qui ne se rencontreront jamais, ce sont plus de faux amis que de vrais amis. Les deux se nourrissent l’un l’autre car on a un rapport de lumière et de cadre qui peut se croiser mais avec le temps je m’aperçois que les deux n’ont pas du tout la même grammaire, la bande dessinée sera toujours plus proche de la littérature et le cinéma plus proche d’une partition musicale. Quant au traitement des voisins, encore une fois, j’ai travaillé le décor d’une façon à ce que l’acteur là-dedans se glisse et se dise qu’il n’avait pas à en faire de trop, qu’il joue le naturel et que cela l’empêche d’aller trop loin. Je déteste le second degré mais je n’aime pas la caricature, j’aime bien partir du fond et remonter, partir d’une ordure et en faire quelqu’un d’humain.

    Ad Vitam

     AlloCiné : Quels sont vos projets à venir, tant au niveau du cinéma que de la bande-dessinée ?

    Pascal Rabaté : J’ai deux projets de bandes-dessinées, un avec David Prudhomme avec qui j’avais fait « La Marie en plastique », qui portera sur les vacances, ce n’est pas un prolongement de « Ni à vendre ni à louer », mais c’est un truc à quatre mains, on sera tous les deux au dessin et au scénario, donc ça va être un joyeux bazar. J’ai un autre projet de BD sur la débâcle de l’armée française en 1940. Et puis il y a deux projets de films, une comédie dramatique, il n’y a pas d’humour du tout c’est sur le deuil, un truc qui se passe sur cinq jours, et puis « La Marie en plastique », que l’on aimerait adapter au cinéma. Je les mélange un peu, après je prends le cinéma quand il arrive et je travaille la bande-dessinée entre les deux. Mais c’est vrai que j’ai besoin des deux pour travailler mon déséquilibre (rires) !

    Propos recueillis le 24 juin 2014 à Paris.

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