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    Et si on se souvenait de nos super-héros français ?

    Ils s’appellent Photonik, le Lynx, Véga… Ils sont français et sont nés dans les feuilletons, les romans, les comics et parfois même ailleurs. Ils ont été oubliés mais un livre et son auteur sont en passe de les rappeler à notre bon souvenir...

    Famille Mouchot / Connaître Chott

    Des super-héros français ? Comme si ça existait ! Pour une grande partie des lecteurs et des spectateurs, les super héros n’appartiennent en effet qu’aux Américains. Comics, cinéma, séries… Tout est effectivement fait pour penser en ce sens : les super-héros, on les aime mais ce n’est pas quelque chose que nous savons faire. Et pourtant, c’est bien en France qu’une grande partie de leur histoire a commencé, là où un véritable vivier de figures héroïques est né et s'est développé, inspirant ensuite d’autres imaginations à travers le monde.

    Mais, aujourd’hui, qui se souvient des Chevaliers de l'étoile, de Mikros, de Coraline, de Démonax ou d’Atomas ? Qui sait également qu'au 19ème siècle, de véritables individus masqués et armés se sont baladés dans les rues de Paris ?  Qui se souvient que leur histoire et leurs histoires ont passionné les foules de l’époque ? Presque personne. Car depuis des siècles, ce bel imaginaire français et l’apport de nos auteurs à cette culture a été comme effacé, gommé, déposé aux oubliettes.

    Comme pour toute injustice, justice se fait parfois des siècles plus tard. Et cette fois, le justicier en question est une véritable référence en la matière : Xavier Fournier, spécialiste de l’histoire des comics, rédacteur en chef du magazine spécialisé, Comic Box, et auteur de "Super héros : une histoire française", un ouvrage référence publié chez Huginn & Muninn et disponible dans toutes les librairies à compter de ce vendredi 14 novembre.

    Pour rendre leur passé à ces héros et à ce pan de notre patrimoine culturel, Xavier Fournier a entamé des recherches gargantuesques, bravé la poussière et l’oubli pour dénicher des ouvrages et des pièces rares. Au total, il a retrouvé 300 super-héros français (et en a conservé 200) en partant du 19ème siècle jusqu’à nos jours. Trois ans de labeur pour faire naître cet ouvrage essentiel qui, loin d’être un simple catalogue de héros oubliés, s’avère être une minutieuse enquête qui aborde la figure du super-héros en ne s’arrêtant pas aux comics mais en touchant aussi à la littérature, au cinéma, à la presse ou encore à la télévision. Une vraie leçon de culture mais aussi d’Histoire française. Rencontre !

    Claude J. Legrand et Luciano Bernasconi/Mozaic Multimedia

    Comment vous est venue l’idée d’un tel sujet ?

    Xavier Fournier : "C’était aux alentours de 2007, 2008. Comme je m’occupe de Comic Box, il m’arrive parfois de faire allusion à des personnages français et, à cette période, j’ai fait un article sur un vieux personnage qui s’appelle Fantax. Un héros français lancé dans l’après-guerre qui a beaucoup souffert de la censure. Pierre Mouchot, l’auteur de Fantax, a été poursuivi plusieurs fois. La commission de 1949, qui régit la lecture pour les jeunes, trouvait que le personnage faisait des choses traumatisantes, qu’il était trop violent. Il a été condamné et il est pratiquement la seule victime de la loi de 1949.

    Pour faire mon article, j’interviewe les héritiers de l’auteur et, après coup, je les sens un peu nerveux. Comme l’interview s’était bien passée, je ne comprenais pas trop. Ils m’expliquent que c’est la première fois qu’il va y avoir un article à décharge sur Pierre Mouchot, que jusque-là, il n’y avait eu que des articles pour le critiquer. En dehors des fanzines, il n’y a jamais rien eu dans la presse magazine. A ce moment, ça a fait tilt. Je me suis dit : "Un jour, je ferai quelque chose autour de ce sujet".

    Il y a de véritables personnes qui ont patrouillé dans Paris, masquées et armées"

    Deux ou trois ans plus tard, Rodolphe Lachat, le responsable des éditions Huginn & Muninn vient me voir et me propose de faire un livre sur les comics. Je lui explique que j’ai autre chose à lui proposer. Sur le coup, il me dit oui mais, en fait, on ne s’était pas compris. Il pensait que je voulais faire un ouvrage nostalgique sur les héros des années 80. On reste un an comme ça… Puis, je lui envoie ce que j'ai commencé à écrire et, là, on a tout de suite signé. Il n’avait pas compris que mes recherches partaient du 19ème siècle, que je ne traitais pas seulement de la BD mais aussi de cinéma, de littérature et de personnages qui ont réellement existé au 19ème siècle. Des personnages qui ont patrouillé dans Paris, masqués, avec des armes et qui ont été aperçus sur les Champs-Elysées. Il existe des dizaines d’articles dans le Figaro de l’époque avec tout un tas de descriptions. Mais ces individus n’ont jamais été attrapés.

    Je n’ai pas voulu en faire un ouvrage exclusivement franco-français. C’est pour ça qu’il y a  plein de fois où je déborde. Par exemple, Fantômas au Mexique est devenu un personnage masqué qui ressemble à Batman. Finalement, dans plein de pays, ils ont vu que c’était des super-héros et ont poursuivi en ce sens. Il n’y a qu’en France où l’on n’a pas poursuivi cette culture populaire.

    D.R.

    Mais, pourquoi ? A quel moment ces héros ont été mis au placard ?

    Je pense que la cassure survient en 1905 quand il y a eu la séparation entre l’Eglise et l’Etat. Il y a alors une radicalisation de la part des curés, des dicteurs de pensées, de tout un tas de censeurs. Pour eux, l’idée du surhomme, c’est un peu concurrentiel de la religion.  Alors qu’aux Etats-Unis, les super-héros ont été adoptés sous un étendard laïc. En gros, les communautés juives, chrétiennes, protestantes ou musulmanes peuvent se reconnaitre dans Superman parce qu’elles comprennent que c’est un autre niveau de lecture, que ce n’est pas concurrentiel. Donc, tout le monde peut se reconnaitre.

    En France, finalement, les super-héros faisaient concurrence aux Saints. Il y a une vraie différence culturelle qui se créé à ce moment-là et qui s’installe. Au début du 20ème siècle, [ces mêmes personnes] commencent à expliquer que ce n’est pas notre culture. Car la meilleure manière de gommer cette culture-là, c’est de dire : ce n’est pas de chez nous. Ils commencent à dire : "Attention, ce sont des juifs qui ont écrit ça, ce sont des allemands…"

    Ils ont démoli toute la production locale"

    [Ce sera pareil pour] les films. A un moment, le Conseil Municipal de Paris parle d’interdire des films comme L’aviateur masqué ou Judex. Dans l’après-guerre, ils ont trouvé le moyen de dire que tous les gens qui créaient des personnages comme ça, faisaient de l’américain : "C’est pas de chez nous. Interdisons." Ce qui est complètement stupide car finalement, ils ont démoli toute la production locale. Ce qui veut dire qu’aujourd’hui, quelqu’un qui s’intéresse à ce type de récits ne peut trouver de super-héros que chez les américains.

    Etes-vous parfois tombé sur des héros vraiment improbables au cours de vos recherches ?

    Ça m’est arrivé plusieurs fois. Il y a d’abord toutes les figures réelles que j’ai découvertes dans les pages du Figaro. Je me suis dit : "Attends ce n’est pas possible…". Du coup, j’ai fait pratiquement un chapitre entier sur ces individus masqués qui ont réellement existé. Il y a aussi la fameuse Vega de 1909 qui a des ailes qui lui permettent de voler au-dessus de Paris mais qui a aussi une ceinture à gadgets et des lunettes qui lui permettent de voir la nuit !

    Je me suis aussi rendu compte que des artistes de cabaret ont aussi inspiré des personnages. Fin du 19ème siècle, il y avait des affiches et les gens passaient et les voyaient. Une femme qui faisait du trapèze, on l’appelait ainsi la femme volante. Et quelque temps plus tard, sortait justement un film de George Méliès qui s’appelait La femme volante. Et tout ça, ça vient de là. Il y a aussi des artistes de foire qui se produisaient aux Folies Bergères. Il y avait un homme qui s’appelait Jack de Fer et qui était habillé avec une sorte de combinaison en fourrure. Dès que tu parles de surhommes, les gens te renvoient vers Hulk mais en cherchant, tu te rends compte que c’était ancré dans la culture populaire de l’époque.

    Qu’en est-il des films de super-héros produits en France à l’époque ?

    Au 19ème siècle, l’économie marchait déjà sur plusieurs supports. Un romancier passait son roman en feuilleton dans un journal. Puis une fois que c’était passé en feuilleton et que ça marchait bien, ça sortait en livre. Et quand ça marchait très bien - c’est pour qu’à un moment donné, Alexandre Dumas a possédé son propre théâtre – tu montais ta pièce. C’est exactement la même économie qu’aujourd’hui. Le roman qui devient le film, etc. Au 20ème siècle, l’étape théâtre a laissé sa place aux films. Il y a un certain nombre de films qui ont disparu. Il y en a certains que j’ai pu trouver, comme par exemple, Judex qui est assez connu et il y a aussi un film de 1911 dont je n’ai retrouvé que le roman, Le Lynx. Le Lynx a les sens tellement développés qu’il entend les pensées. Il y a aussi Balaoo, un singe qui a subi des expérimentations et qui a été transformé en humain. Il a en gros les mêmes pouvoirs que Spiderman et c’est un héros qui a inspiré plusieurs films aux Etats-Unis."

    Xavier Fournier sera en dédicaces les 15 et 16 novembre prochain au Paris Manga & Sci-Fi Show et les 22 et 23 novembre prochain au Paris Comics Expo. En parallèle, une exposition autour du livre a lieu jusqu’au 23 novembre à la Galerie Carle Kvasnevski, à Paris.

    Pour en savoir plus : rendez-vous sur le site officiel

     

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