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    Bones : Une fraude de la chaîne FOX sur les royalties et droits de diffusion pourrait bouleverser tout Hollywood

    Dans la longue bataille qui opposent les producteurs exécutifs de Bones (dont David Boreanaz et Emily Deschanel) à FOX, l'arbitre vient de rendre son enquête qui risque de bouleverser Hollywood et condamne FOX à verser 179 millions de dollars.

    2015 Village Roadshow Films (BVI) Limited, Warner Bros. Entertainment Inc. and Ratpac-Dune Entertainment LLC

    Ces derniers jours, il s’est joué une bataille légale qui fera peut-être date dans l’histoire d’Hollywood et plus particulièrement à la télévision. Dans l’affaire qui oppose David Boreanaz, Emily DeschanelBarry Josephson et Kathy Reichs (respectivement les acteurs principaux, le producteur et l’anthropologue judiciaire consultante de Bones) et FOX, un arbitre, Peter Lichtman, a statué en faveur des plaignants et réclame la somme 179 millions de dollars de dommages et intérêts. Le motif ? Un système économique qui empêche les acteurs, producteurs ou consultants de toucher leurs royalties et une fraude sur la vente des droits de diffusions. C’est un peu technique mais édifiant. Explications.

    Ray Mickshaw/FOX

    Dépenser plus pour gagner moins

    Il y a quelques années déjà, on apprenait l’existence du Hollywood Accounting. Ce système, mis en place par les grands studios américains, limitait le versement des royalties au motif que le film était déficitaire. Oui, même les plus gros, surtout les plus gros, genre Le Retour du Jedi ou Harry Potter et l’Ordre du Phénix. La pirouette ? Gonfler les frais généraux (promotions, etc…), via des sociétés écrans créées spécifiquement pour le film afin de mettre la balance entre dépenses et profits à zéro, voire en dessous de zéro. Ainsi, le film est qualifié de déficitaire et aucun intéressement sur bénéfice n’est versé (pour compléter sur le Hollywood Accounting, lire l’article très complet d’Allociné sur la question).

    A la télévision, cela consiste à sous-vendre la série aux diffuseurs afin de limiter les bénéfices nets. Organisation légèrement différente mais principe similaire. Et le résultat est le même : aucunes royalties versées à ceux qui avaient négociés de tels intéressements.

    Seulement spécificité de la télévision américaine, les studios qui produisent une série sont différents du diffuseur. Ainsi, Universal a produit la série House mais c’est FOX qui la diffusait (et non NBC pourtant affiliée à Universal). Avec Bones, c’est FOX qui produit et la série est diffusée sur FOX, mais contractuellement, ce sont bien deux entités différentes (FOX Studio produit ; FOX Broadcasting diffuse).

    Dans le cas de Bones, on est clairement dans le système du Hollywood Accounting. Mais l’enquête de l’arbitre montre que la fraude va plus loin et c’est là que ça devient particulièrement vicieux.

    Ce que nous avons exposé dans cette affaire va profondément bouleverser la façon dont Hollywood fait des affaires pour les années à venir (John Berlinski, avocats de David Boreanaz et Emily Deschanel)

    Pour des négociations plus simples : traiter avec soi-même

    Le paysage télévisuel américain est en train de bouger, à cause de Netflix notamment et l’avènement du streaming. Chacun souhaite désormais croquer sa part du gâteau en montant leur service propriétaire (CBS All Access, HBO Go, Disney +,...) afin d’éviter de donner des munitions à la concurrence. On entre alors dans une économie verticale avec des studios présents à tous les maillons de la chaîne (producteur-diffuseur-rediffuseur). Et des deals qui relèvent de plus en plus du surréalisme et c’est exactement ce qui s’est passé pour FOX et Bones.

    Quand il s’agit de vendre des droits de rediffusion à ces services de streaming, la comptabilité devient particulièrement obscure. Le créateur de Modern Family, Steve Levitan, racontait en 2010 qu’il n’avait absolument aucune visibilité sur les recettes engrangées par la présence de sa série sur la plateforme HULU et ses 2 millions de spectateurs estimés. A priori, les rediffusions marchent bien mais aucun billets verts à l’horizon pour le showrunner et tous ceux qui ont négocié des royalties. Pire, il n’a le droit à aucune réponse des studios quand il ose poser la question.

    Pour Bones, cela se complique encore davantage car FOX possède 30% des parts de… HULU. Et l’arbitre a relevé quelques irrégularités. En effet, il remarque que les droits de rediffusion négociés par FOX Broadcasting Licensed ne correspondent à rien qui n’a été fait auparavant avec quelques séries que ce soit. La première saison, disponible entre 2008 et 2010, est négociée contre des « parts de revenus publicitaires spéculatifs ». Traditionnellement, les droits se basent sur une license à l’épisode, pas à la saison. Et dans le cas de Bones, à aucun moment, ce système normal n’a été évoqué. Mais là où ça devient vicieux, c’est lorsque l’on regarde les contrats : Dan Fawcett, président des médias numériques de FOX a signé pour les deux parties. En gros, il a négocié avec lui-même et s’est mis d’accord avec lui-même !

    Peter Lichtman a alors observé ce qui se faisait chez la concurrence pour estimer le manque qui n’a pas été perçu. En se basant sur une négociation classique (l’exemple fut House), il a relevé qu’il manque 114 millions de dollars pour les droits d’exploitation de la série sur HULU et donc 15.5 millions de royalties non versées aux ayant droits. Lichtman écrit : « Par conséquent, compte tenu de la situation financière de FOX, une indemnité punitive de 128 455 730 dollars est raisonnable et nécessaire pour punir FOX de son comportement répréhensible et le dissuader de tout comportement illicite ultérieur ».

    Patrick McElhenney/FOX

    « Mensonge, tricherie et fraude… »

    Parce qu’il n’y a pas que dans les droits de diffusion pour HULU que FOX s’est montré a priori coupable, le studio a fait aussi dans la manipulation, voire la fraude pour reprendre les termes de l’arbitre. Durant la série, Barry Josephson et Kathy Reichs ont dû signer des communiqués les empêchant de contester le fait de ne percevoir aucunes royalties pour les cinquième et sixième saisons. FOX menaçait en effet d’annuler la série s’ils refusaient. Néanmoins, Peter Rice, président de FOX, avait déjà renouvelé Bones et il savait que ni David Boreanaz, ni Emily Deschanel, se signeraient de tels documents. Le studio a continué à faire croire le contraire à Josephson et Reichs, allant même jusqu’à inclure les espaces où les acteurs signeraient, dans les communiqués envoyés aux producteurs.

    Au même moment, le showrunner Hart Hanson signait lui aussi un contrat. Seulement contrairement aux autres, il était en train de négocier un généreux deal pour continuer la série. Étrange ? Hanson était représenté dans les négociations par Jeanne Newman, épouse de Gary Newman, coprésident de… FOX.

    Quelles conséquences pour l’avenir ?

    Déjà, FOX va forcément faire appel de la décision. Ce n’est pas encore une décision judiciaire mais le rapport d’un arbitre. Seulement il est rare qu’un tribunal vient contre son avis. Pour FOX, il faudrait prouver « une procédure défectueuse, un mépris manifeste de la loi, un arbitrage qui dépasse le cadre de l'autorité, un parti pris ou une inconduite manifeste ». Peter Lichtman étant un ancien juge de la Cour supérieure d’Atlanta qui a 35 années d’expérience et des résultats remarqués, notamment dans des affaires d’abus du clergé. Autant dire, la tâche pour le discréditer va s’avérer compliquée.

    De façon plus générale, cela peut signifier que l’économie globale des séries pourrait entrer dans une nouvelle dynamique avec des créateurs, producteurs, actrices et acteurs qui réclament des sommes plus importantes au départ afin de court-circuiter les manipulations financières sur les rediffusions. Les séries coûteraient donc plus chères à produire sur le moment. Est ce que l’on n'atteindrait pas alors l’explosion de la bulle économique, que l’on appelle Peak TV, prophétisée par John Landgraf depuis quelques années ? Hollywood produit de plus en plus de séries (495 en 2018), avec l’augmentation potentielle des coûts, la réponse logique serait une baisse plus ou moins significative. Mais la création de nouvelles plateformes de streaming et l’obligation de fournir des contenus inédits afin de viabiliser leur existence, obligeraient les studios à peut-être revoir leurs copies sur le Hollywood Accounting, d’autant plus que ces mêmes services propriétaires (Disney produit pour Disney+, etc….) coupent une autre source de revenus potentiels : les droits de diffusion vendus pour d’autres chaînes.

    Il est encore beaucoup trop tôt pour mesurer l’impact de ces révélations sur tout le système hollywoodien. On ne sait pas si cette décision fera jurisprudence ou si elle motivera d’autres enquêtes. En l’état, Peter Lichtman a révélé des malversations frauduleuses et manipulations comptables insoupçonnées.

    A suivre ?

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