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    La Femme de mon frère : rencontre avec Monia Chokri pour ce film "coup de cœur" de Cannes

    Coup de cœur du Jury Un Certain Regard lors du dernier Festival de Cannes, La Femme de mon frère, la première réalisation de la comédienne québécoise Monia Chokri, sort aujourd'hui dans nos salles. Rencontre avec une jeune réalisatrice passionnée.

    AlloCiné : Vous avez fait vos débuts en tant qu'actrice dans le film de Xavier Dolan Les Amours Imaginaires, présenté à Cannes. Vous faites aujourd'hui  vos débuts en tant que réalisatrice et votre film est présenté à Cannes dans la catégorie Un Certain Regard. C'est un peu comme un nouvelle naissance non ?

    Monia Chokri : C'est très émouvant en effet de naître en tant que réalisatrice dans la salle où je suis née en tant qu'actrice. Il y a quelque chose d'assez troublant, d'autant plus que je ne l'aurais jamais imaginé il y a 9 ans quand j'ai débuté. Je suis très heureuse. Et je suis ravie d'être présente ici en tant que cinéaste. Ça change tout.

    Pourquoi est-ce que ça change tout ?

    Il y a quelque chose qui m'angoisse d'être à Cannes en tant qu'actrice, parce qu'on est beaucoup plus sur l'image et beaucoup moins sur le propos. Arriver en tant que réalisatrice et être présentée en tant que telle change énormément la donne. Par exemple Thierry Frémaux m'a introduite à Jim Jarmusch en tant que jeune cinéaste, et soudainement il y a un vrai échange, un vrai dialogue qui se créé. Je suis là pour mes idées et ça change tout. J'ai un vrai pouvoir grâce à ma parole.

    Les actrices ont beaucoup de choses à dire mais on ne leur demande pas forcément de parler. Après c'est normal que les comédiennes ne soient pas sollicitées de la même manière que les réalisateurs étant donné qu'elles sont les artisans d'un artiste, mais je suis beaucoup plus à l'aise en tant que réalisatrice. Je préfère maîtriser mes idées que mon image.

    Memento Films Distribution

    Est-ce cette envie de maîtriser les choses qui vous a donné envie de passer de l'autre côté de la caméra ?

    Il y a une partie de ça oui. C'est venu de l'envie de raconter des choses qui m'intéressent. Mon problème aussi c'est que je ne suis pas une actrice docile, je suis quelqu'un qui a une opinion sur les scénarios, sur le travail du réalisateur... Donc au lieu d'être insatisfaite je me suis dit qu'il fallait que je me lance pour voir si j'arrivais à faire mieux.

    La Femme de mon frère est très drôle, l'héroïne est une sorte de Bridget Jones des temps modernes, et en même temps le film aborde des sujets forts comme l'avortement, le droit des femmes à disposer de leur corps, l'immigration... 

    Elle est plus intello que Bridget Jones (rires). Mais ça me touche beaucoup parce que c'était mon pari de raconter, par l'humour, toutes les obsessions et les anxiétés - pas de ma génération - plutôt les miennes, mais en espérant que ça résonne auprès d'autres personnes.

    Je pense que ce film touchera plus les femmes qui ont une sensibilité particulière. Cela dit j'espère qu'il plaira aussi aux hommes... Si le personnage central avait été un homme on aurait dit que le message du film est universel, mais étant donné que c'est une femme on pense que ça plaira plus à cette part de la population. On a encore beaucoup d'efforts à faire de ce côté, pour que le personnage neutre ne soit plus un homme blanc hétérosexuel de 30 ans. C'est ce qu'on appelle le personnage universel, quelqu'un auquel tout le monde pourrait s'identifier. Hors ce n'est pas le cas. On a l'impression que quand le personnage principal est un femme, les hommes se retirent de la course à l'identification alors qu'à l'inverse les femmes doivent s'identifier aux hommes. Idem pour un homme noir ou gay, les autres ne pourraient soit disant pas s'y identifier.

    Memento Films Distribution

    L'intelligence du film c'est que vous abordez les sujets sans jamais tomber dans le pathos. Sophia traverse les épreuves de la vie mais poursuit sa route sans s’apitoyer.

    C'était très important pour moi et particulièrement pour la scène de l'avortement. Je voulais la raconter d'une manière qui ne soit pas lourde. Ce n'est bien entendu pas anodin pour une femme, mais c'est le quotidien. Je n'avais pas envie que ce soit pesant, qu'elle se remette en question... C'est quelque chose de concret, il faut le faire et voilà.

    C'est un film féministe, il y a un vrai enjeu, cela dit je ne fait pas du cinéma pamphlétaire, j'essaie de rester en filigrane dans mes sujets. Je ne veux pas être moralisatrice, ni répondre à des questions, je veux questionner. Je m’interroge sur le monde dans lequel nous vivons, ce n'est pas noir ni blanc, c'est tout gris. Parfois les gens bons sont aussi mauvais et inversement, la vie est comme ça, elle est poreuse, elle est parfois dramatique et parfois comique. Il n'y a pas de bonnes réponses sur la migration, sur l'amour... Parce que j'ai des obsessions et des angoisses je pense qu'elles émanent dans le film. Je suis féministe, je questionne les rapports d'identité aujourd'hui... Donc tout ça ressort dans mon film.

    JACOVIDES-MOREAU / BESTIMAGE

    Quelles ont été vos influences ?

    Ma plus grande influence est le cinéma direct québécois des années 60. Les réalisateurs Pierre Perrault, Michel Brault, Claude Jutra sont des cinéastes qui étaient en dialogue avec La Nouvelle Vague, ils se connaissaient. Des amis de Truffaut se retrouvent d'ailleurs dans un des films de Claude Jutra.

    C'est très particulier car ils étaient à la fois documentaristes, et ce qui était intéressant dans leurs fictions c'est qu'ils y intégraient toujours des parts de documentaires. Il y avait quelque chose de très Nouvelle-Vaguienne dans leur manière de faire, les personnages de fiction allaient parfois à la rencontre de véritables gens. Donc on avait cette espèce de part de fiction qui était en relation directe avec le monde dans lequel ils vivaient. 

    C'est une des raisons pour laquelle j'ai mis des immigrants dans le film. Ce sont de vrais élèves d'une classe de francisation. On sort de la fiction et on entre à pieds joints dans la réalité. C'est la même chose à la fin du film  où on me voit avec mon frère. C'est une manière d'être libre dans la création.  

    La bande-annonce

     

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