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    Billie : "la voix de Billie Holiday était un instrument"
    Corentin Palanchini
    Passionné par le cinéma hollywoodien des années 10 à 70, il suit avec intérêt l’évolution actuelle de l’industrie du 7e Art, et regarde tout ce qui lui passe devant les yeux : comédie française, polar des années 90, Palme d’or oubliée ou films du moment. Et avec le temps qu’il lui reste, des séries.

    Le réalisateur James Erskine nous raconte sa vision de Billie Holiday pour la sortie en salles de son documentaire "Billie", consacrée à l'une des plus belles voix du jazz.

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    AlloCiné : Pour le grand public qui n'a pas encore vu votre documentaire, pouvez-vous décrire qui était Linda Lipnack Kuehl, qui tient un rôle majeur dans votre film ?

    James Erskine, réalisateur : Linda Lipnack Kuehl était une journaliste, auteure féministe originaire de New York qui a pris une pause à la fin des années 1960 pour écrire une biographie de Billie Holiday. Son but avec ce livre était d'essayer de séparer les mythes (...) de la réalité de ce qui avait été précédemment écrit à propos de Billie. Elle a donc organisé plusieurs interviews (...) avec quiconque avait "une association personnelle avec Billie Holiday", comme elle le disait. Malheureusement, après presqu'une décennie de travail, Linda est décédée dans de mystérieuses circonstances avant qu'elle ne puisse terminer le livre. [Mon] film est basé sur ses recherches non publiées et ses cassettes d'entretien qui n'avaient jamais été entendues.

    Les témoignages qu'elle a recueillis sont des documents aujourd'hui très précieux. Pourquoi le livre n'a-t-il jamais été terminé ?

    (...) Linda était fascinée par la musique de Billie Holiday et voulait essayer de séparer ce qu'elle considérait comme des mythes à propos de Billie de la Billie réelle, celle en trois dimensions. (...) Linda savait qu'elle ne pourrait jamais capturer cette Billie unique en ignorant qu'elle évoluait au sein d'une société et devait s'y adapter. Pour Linda, il était donc important de trouver les voix qui pouvaient parler de Billie à différentes époques de sa vie -cela pouvait apporter du contradictoire et permettre de dresser un portrait. Elle a donc passé une décennie à parler à ceux qui, d'après elle, "avait une relation personnelle avec Billie Holiday". (...) Mais plus elle dessinait le portrait de la star, plus elle lui échappait, et c'est pour cela que le livre n'est jamais paru. Linda ne trouvait pas de façon de le conclure et d'obtenir l'exhaustivité que Billie méritait à ses yeux. (...)

    Billie
    Billie
    Sortie : 30 septembre 2020 | 1h 38min
    De James Erskine
    Avec Billie Holiday, Tony Bennett, Sylvia Syms
    Presse
    3,6
    Spectateurs
    3,6
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    Bille Holiday était une star de la chanson, et l'une des plus belles voix de jazz de l'histoire de la musique. Quel était son don pour vous, celui qui la rendait unique ?

    Beaucoup de gens disent que la voix de Billie était un instrument, et je pense que c'est juste. La façon dont elle chantait n'est pas tant qu'elle énonçait les mots mais qu'elle jouait les mots via ses cordes vocales -vous me comprenez ? Donc lorsqu'elle chantait comme un instrument, elle touchait notre âme, plus que nos esprits, et nous transmettait un peu de son essence.

    Vous avez colorisé plusieurs des chansons qu'elle a enregistrées à la télévision. Quelle était votre intention avec ce choix esthétique ?

    C'était très important pour moi de représenter le monde de Billie tel qu'il était, et non de la ghettoïser par la technologie de l'époque. Son monde était plein de couleurs, sa vie aussi. Ce n'est que parce que la pellicule couleur n'était pas encore en circulation ou rare que nous n'avons pas d'images d'elle en couleurs. Je voulais représenter l'éclat de son monde. Bien sûr, nous avons fait attention à garder certaines images en noir et blanc, celles des photographes qui faisaient des choix artistiques d'éclairage (...). [La colorisation] était difficile et nous avons eu la chance de travailler avec Marina Amaral, une artiste brésilienne qui est une génie de la colorisation des images d'archives (...).

    La chanson Strange Fruit est particulièrement puissante, comme le rappelle votre film [traitant du lynchage des Afro-Américains dans le sud des Etats-Unis, vus dans la chanson comme des "fruits étranges" accrochés aux arbres]. Diriez-vous que Billie était une artiste engagée ?

    Je ne pense pas qu'elle se serait décrite comme quelque chose d'aussi pompeux qu'une artiste, je pense qu'elle se serait appelée une "divertisseuse", son travail étant de divertir le public. Elle aimait chanter, elle devait chanter. Et lorsqu'elle le faisait, elle chantait vrai. Elle prenait les mots d'une chanson et les enrobait autour de sa propre vie. Je ne pense pas qu'elle était guidée par un besoin d'avoir une postérité, elle chantait pour le présent. Le fait est qu'elle était une artiste dévouée à façonner et refaçonner une chanson comme si elle était une représentation de sa vie, d'une émotion (...). Avec Strange Fruit, elle revisitait la chanson chaque fois qu'elle la chantait.(...) Et une fois qu'elle était dédiée à une chanson, elle l'était à son message.

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    Votre film se focalise aussi sur sa vie privée, souvent discutée dans la presse de l'époque. Il semble qu'elle était souvent impliquée dans des relations amoureuses nocives, une des personnes interviewées prononce même le mot de "masochiste" à son égard. Iriez-vous jusque-là ?

    Je pense que le film est un collage de Billie, chaque personne que nous rencontrons donne sa vision de Billie. Beaucoup de gens disent qu'elle était masochiste, mais peut-être avaient-ils en tête un autre sens du mot. Je pense que Billie était profondément blessée, qu'elle essayait beaucoup de ne pas revivre [ses blessures] mais ne pouvait s'empêcher de le faire. Qu'elle en ait tiré une satisfaction au sens psycho-sexuel, je ne peux le dire, de même si elle avait besoin de ressentir cette douleur pour se sentir vivante ou qu'elle pensait qu'elle méritait d'être punie (elle ne le méritait pas) à cause des problèmes de son existence (...). Le psychiatre l'appelle une psychopathe, d'autres une masochiste, d'autres encore une femme sauvage. Je pense que la chose la plus intéressante dans tout cela est que les gens sentaient le besoin de la mettre dans une case et de la limiter à une description.

    Très jeune, elle a été violée, mais votre film n'en fait pas une victime. Peut-être que "survivante" est un mot qui correspondrait mieux à son parcours ?

    Absolument, j'étais certain que je ne voulais pas la placer en victime. Par bien des aspects, sa vie était triomphante, une série de victoires de son esprit sur ses bizarreries, sur ceux qui tentaient de la mettre ou de la maintenir plus bas que terre. Je ne suis pas sûr non plus que je l'appellerais "survivante". Notamment parce qu'à la fin, elle n'a pas, ou n'a pas pu survivre. Je l'appellerais plutôt une combattante. D'une certaine manière, elle luttait pour être entendue, respectée et aimée.

    Propos recueillis par mail le 14 septembre

    "Billie", actuellement dans les salles :

     

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