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    Germinal sur France 2 : comment les créateurs ont-ils modernisé les personnages féminins ?
    Julia Fernandez
    Julia Fernandez
    -Journaliste Séries TV
    Elevée à « La Trilogie du samedi », accro aux séries HBO, aux sitcoms et aux dramas britanniques, elle suit avec curiosité et enthousiasme l’évolution des séries françaises. Peu importe le genre et le format, tant que les fictions sortent des sentiers battus et aident la société à se raconter.

    Au micro d'Allociné, le réalisateur David Hourrègue revient sur l'adaptation en série du roman d'Emile Zola et sur la touche de modernité apportée à ses personnages féminins, portés par Alix Poisson (La Maheude) et Rose-Marie Perreault (Catherine).

    Pour David Hourrègue et Julien Lilti, réalisateur et scénariste de la série Germinal dont deux nouveaux inédits sont diffusés ce soir sur France 2, il était nécessaire de sortir les personnages du roman de Zola de leur coquille archétypale afin de retrouver le souffle épique de la fresque et l'aspect romanesque de l'histoire.

    Si Julien Lilti était aux manettes du scénario en tant que directeur d'écriture, le réalisateur devait réussir à "s'emparer" de la série, explique ce dernier au micro d'Allociné lors du Festival Séries Mania. Leurs deux leurs deux sensibilités s'étant accordées pour parvenir à affronter l'oeuvre de Zola ensemble, il leur fallait ensuite trouver le bon dosage pour moderniser les personnages, et celui de la jeune Catherine Maheu, incarné par Rose-Marie Perreault, en était le symbole.

    Violée par Chaval à l'issue du premier épisode, celle-ci va ensuite aller vivre et travailler avec lui pour une mine concurrente, au grand désespoir de ses parents. La production a alors pris des libertés avec le roman : Catherine, qui n’a que 13 ans dans le livre, en a 19 dans la série. "Nous ne pouvions pas faire jouer à une gamine ce que subit le personnage dans le roman" explique la productrice, Carole Della Valle.

    « Catherine se fait violer : c’est un paragraphe. C’est acquis. Non pas que l’auteur ait voulu minimiser cette violence, mais c’est normal, c’est la routine. Là [dans la série], on s’y arrête, on en voit les ravages » précise la comédienne Alix Poisson au Parisien.

    Germinal
    Germinal
    Sortie : 2021-10-27 | 52 min
    Série : Germinal
    Avec Louis Peres, Guillaume De Tonquédec, Alix Poisson
    Presse
    3,6
    Spectateurs
    3,6

    A l'occasion de l'émission Spotlight d'Allociné enregistrée au festival Séries Mania, David Hourrègue est revenu sur le sentiment de devoir qu'il avait de rester vigilant quant au traitement du personnage de Catherine, en gardant à l'esprit son ancien public de SKAM France, série adolescente riche de thématiques autour du consentement sexuel.

    "J'ai une petite fille, et je n'avais pas envie qu'elle voit la série un jour et me dise : "mais qu'est-ce que c'est que cette histoire ?" Quelqu'un qui suit son bourreau et qui subit de la sorte, ce n'est pas un canevas moderne, mais il fallait que ce soit compréhensible."

    Selon lui, il fallait que le piège dans lequel tombe Catherine soit compréhensible. Dans ce sens, le choix de l'acteur Jonas Bloquet pour jouer Chaval a été essentiel pour le réalisateur. "Son magnétisme répondait à beaucoup de choses, mais aussi le talent incroyable de Rose-Marie, qui allie force et lumière pour le rôle."

    Comment veiller, grâce à la choralité de la série, à ce que chacune des héroïnes du roman puisse avoir un point de vue, une subjectivité propre ? Plus qu'une envie scénaristique, c'était un vrai besoin selon David Hourrègue.

    "Pour comprendre le rôle des femmes chez Zola, je suis allé étudier le rapport qu'il avait aux femmes. Quand je me suis rendu compte qu'il utilisait parfois la même sémantique, le même lexique pour parler de Catherine que la manière dont il parlait de sa maîtresse dans les lettres enflammées qu'il lui envoyait, je me suis dit "attention !" On allait devoir être très prudents vis-à-vis de ça."

    Pour Julien Lilti et ses co-auteurs, le fait de remonter la place des personnages féminins dans la série et de souligner leur poids politique était l'une des considérations primordiales à avoir, au point de presque laisser les personnages masculins loin derrière dans les premières versions des scénarios.

    "Quand on se balade dans les musées de la mine (d'Arenberg, ndlr), on voyait affichées les règles de bon comportement dans le coron, et on y lit qu'on déconseillait aux femmes de parler entre elles", poursuit David Hourrègue. Sous-entendu : de se liguer. 

    "Or, outre le fait de s'occuper des enfants, elles abattaient un travail titanesque. Comment imaginer une seule seconde qu'en temps de grève, leur parole n'était pas politique ?" Incarné par Alix Poisson, le personnage de la Maheude dépasse ainsi l'aspect "mère sacrificielle" qui la caractérisait dans le roman, en devenant l'une des instigatrices du mouvement de grève dans le coron.

    Suite à leurs recherches, Julien Lilti et David Hourrègue décident de se libérer complètement du poids du roman, en prenant le pari d'aller au plus proche de leur ressenti par rapport à leur travail de documentation sur cette époque. "Je pense que ce que Catherine vit avec Chaval, la Maheude a dû le vivre elle aussi, comme beaucoup de femmes qui sont descendues dans la mine", poursuit-il.

    Dans le roman de Zola, on apprend que la Maheude a eu un accident à la naissance de Catherine, l'empêchant de continuer à descendre dans la mine; ce qui signifie qu'elle a, elle aussi, connu les conditions de travail vécues par sa fille dans les profondeurs. 

    "En fouillant, il y aurait beaucoup à dire sur l'histoire des femmes dans la mine. C'est un sujet à part entière. Il suffit d'aller voir les carnets des porions (contremaîtres, ndlr) de l'époque pour être tétanisé", relate David Hourrègue. "Enfants et femmes vivaient l'enfer. Et si la loi change, c'est aussi parce que les femmes ont commencé à s'organiser et à se rebeller. Et beaucoup de mineurs remontaient avec la gorge tranchée."

    Pour le réalisateur, y a avait aussi toute cette histoire implicite à prendre en compte à travers Catherine, pour expliquer comment ce personnage lumineux ait pu passer entre les gouttes avant Chaval. "Il y a bien sûr l'omnipotence de son père, le Maheu, mais aussi d'une certaine manière, la mainmise de son agresseur sur elle qui la protège des autres."

    Ce que Catherine vit avec Chaval, la Maheude a dû le vivre elle aussi

    Sur le tournage de la série plus tôt en janvier, le réalisateur nous confiait également qu'une scène en particulier avait été particulièrement riches en émotions pour de nombreuses figurantes : celle de la révolte des femmes du coron contre Maigrat, l'épicier, profitant de son statut et de leur misère pour abuser d'elles.

    "Le jour où on l'a tournée, David n'arrivait pas à se faire entendre en disant "coupez !"" rapporte Carole Della Valle. "Les femmes se déchaînaient, et n'entendaient même pas ses indications tellement elles hurlaient."

    "Il y avait une énergie très particulière à ce moment précis, et pour rassurer le comédien qui jouait Maigrat (Simon Ferrante), je faisais la mise en place moi-même en me mettant à sa place. Et très honnêtement, même moi je n'étais pas serein" confie le réalisateur, au point que l'équipe prenne la décision de mettre des cascadeuses autour de l'acteur par précaution pour qu'il ne soit pas blessé.

    "Quand on leur a expliqué le contexte, les différentes personnes qui devaient participer à cette séquence et qui ont passé le casting sont quasiment toutes sorties de leur essai en ayant pleuré. Sur le tournage, l'une d'entre elles m'a regardé et m'a dit "un instant, je me connecte à mon Maigrat à moi". Et c'était malheureusement loin d'être une exception sur l'ensemble du casting."

     

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