Claude Lanzmann est allé chercher des témoins aux quatre coins de l’Europe afin de reconstituer, par la parole, ce que fut la Shoah. Le cinéaste fit le pari que des témoignages en diraient bien davantage que n’importe quelle image d’archives, d’ailleurs le film n’en comporte aucune. Au fil des témoignages, c’est tout l’aspect inédit de la Shoah qui est mis en lumière. Le spectateur se trouve face à la description de phénomènes et d’une période d’une radicalité inouïe, le tout alimenté
par la guerre, qui exacerbe les logiques les plus primitives de la part
du régime nazi qui, au cours de la guerre, ne cesse de se radicaliser
jusqu’à sa propre destruction : exploitation, extermination par le
travail, par la faim, par le confinement dans les transports, par les
chambres à gaz, sélection des plus forts et élimination des faibles,
déportations brutales et traitements plus inhumains les uns que les
autres… Tout y passe. Claude Lanzmann a ainsi voulu recontextualiser et
reconstituer, par ces témoignages, la Shoah dans toutes ses dimensions.
Au-delà des témoignages et des détails, très nombreux, qui nous sont
prodigués, Claude Lanzmann n’a pas ménagé ses efforts pour nous faire
une véritable proposition formelle, utilisant avec beaucoup d’habileté
la matière première du cinéma : le temps. La longueur du film permet aux
différents témoignages de se déployer, parfois sur vingt minutes,
mettant le spectateur dans une position d’écoute active, tant les
témoignages sont poignants. Le montage souligne parfaitement la
concordance entre ce que disent les différentes victimes, ou bien marque
au contraire l’opposition avec la vision des bourreaux. La voix off des
témoins accompagne des images quasi contemplatives des lieux et traces
du passé liés à la Shoah, filmés trente ans après, déserts le plus
souvent, et sur lesquels la nature a repris ses droits. Il n’y a pas une
espèce de romantisme des ruines, ces paysages n’ont même pas l’air
hantés, ils évoquent juste la destruction, dans toute sa froideur, avec
son aspect définitif, on se dit qu’il n’en reste plus rien de ces juifs
assassinés sinon les témoignages des survivants que l’on entend en fond
sonore. Des lieux et des paroles, tel est le principe qu’a suivi Claude Lanzmann
au cours de cette courageuse aventure, au cours de ce très long mais passionnant documentaire qui occupe une place de premier
choix dans l’histoire du film documentaire. Vous pouvez lire ma critique (très) complète (et illustrée) ainsi que d’autres
critiques et articles sur le cinéma ainsi que des extraits de films sur
mon blog : 7emeart.wordpress