Avis sur Menilmontant

Je ne connaissais pas Kirsanoff avant de voir ce film et je ne savais pas à quoi m'attendre et il faut dire que je suis assez épaté. En fait j'avais a priori un peu peur de tomber sur un film, certes brillant techniquement, mais qui ne raconte rien de particulier (c'est pour ça que l'homme à la caméra de Vertov est le Vertov que j'aime le moins par exemple). Et ça n'est absolument pas le cas.

Non seulement il y a une histoire, mais en plus elle est simple, très bien racontée et ceci sans utiliser d'intertitres. On accède alors à un film extrêmement fluide et rythmé. Il l'est d'autant plus que tout va très vite, que ça soit au niveau du montage ou des mouvements de caméra. Et malgré ce dynamisme, le film arrive à se poser, à filmer cette actrice magnifique, à nous montrer ce qu'elle ressent, à nous montrer son regard à la fois plein de désir, de fierté et d'un peu de crainte. Tout ça sans un mot, juste avec des gros plans, jamais intrusifs ou gênants.

J'ai l'impression que le cinéma muet, que ça soit chez Griffith ou Dreyer par exemple, ose beaucoup plus ces plans fixes frontaux sur de belles jeunes femmes dont le visage, expressif, sans trop en faire non plus, racontent mille et une choses.

Et c'est ce que j'ai aimé ici, cette capacité, outre les trouvailles visuelles, à raconter quelque chose de simple, d'assez premier degré pour être émouvant (et intéressant), en se servant de toutes les idées de montage, de mise en scène. Donc forcément c'est vraiment bien, il n'y a rien de superflus, et on a là un beau film.

Est-il possible de faire un moyen-mètrage muet de 38 minutes sans gros dèploiement de grimaces faciales ou de courses-poursuites hallucinantes ? Oui, avec l'admirable "Mènilmontant" (1926), tournè il y a presque un siècle! Sublimant toutes les images en mouvement qu'une camèra puisse offrir à sa tènèbreuse beautè, Nadia Sibirskaia restera quoi qu'on en dise l'emblème du muet sans sous-titres! Emouvante par sa seule prèsence, simple et magnifique à la fois, l'actrice est inoubliable, comme l'oeuvre de son mari, l'èmigrant russe Dimitri Kirsanoff! Avec une vision angoissante, contemplative et poètique tout à fait personnelle, ce dernier signe un film rèfèrence annonçant le nèorèalisme italien et saisissant comme jamais le quotidien sur le vif, renforcè par une partition musicale extraordinaire à la Clint Mansell! Le plus abouti des films de Kirsanoff et c'est aussi celui que l'on prèfère dans sa filmographie avec un cinèaste qui transforme un quartier de Paris en film moderne et puissamment touchant....

Compte tenu de sa date de création et des tentatives de modernisation que ce film contient, il me paraît mériter 3 étoiles mais le moins que l’on puisse écrire, c’est qu’il n’est pas enthousiasmant. Si une belle partition au piano ne l’accompagnait pas dans la salle de projection, il y perdrait beaucoup. Contemporain de ‘’l’homme à la caméra’’ de Vertov, il est loin de le valoir. Ses centres d’intérêts portent sur les surimpressions, les flous et sur la vision de Nadia Sibirskaîa, jeune française rebaptisée par Kirsanoff et qui fera une très belle carrière. Le scénario est inexistant et tout est loin d’être clair. On a par moment l’impression de voir de l’art pour l’art ce qui n’est jamais une bonne chose.

Muet et si parlant ! Narration étonnante de modernité dans l'évocation et l'expression des sentiments par lesquels l'héroïne passe. Superbe.
Ou comment se faire cueillir, d'un clic aléatoire, par une perle rare de l'histoire du 7e art !
Kirsanoff a eu l'intelligence de ne pas utiliser les intertitres. Ils auraient été effectivement superflus et auraient cassé la fluidité de la narration. On sent aussi une certaine influence de la psychanalyse quand il évoque les cauchemars, les souvenirs des protagonistes, et puis l'usage qu'il fait de la symbolique du caniveau est assez exceptionnel. Ce film est génial !