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    Ashkal, l'enquête de Tunis
    Ashkal, l'enquête de Tunis
    3,0
    Publiée le 7 février 2023
    En Tunisie, s’il est indispensable de se faire entendre par les autorités, il est d’abord essentiel de se faire remarquer. L’immolation est probablement le testament le plus lumineux et le plus tragique que l’on puisse exprimer, dans la cité ténébreuse de Tunis. Youssef Chebbi, fait ainsi renaître Mohamed Bouazizi de ses cendres, à travers un regard vexé et humilié, qui a guidé la marche du Printemps arabe. En ce sens, « Harka » de Lotfy Nathan, amenait déjà le témoignage du deuil collectif qui a encore du mal à passer. Un Certain Regard est loin d’être la seule sélection cannoise à cultiver cette peine, qui hante toujours une nation, qui rêvait de la modernité et d’une autonomie qui profiterait à chacun. La réalité est pourtant dans les rues inhospitalières, une conséquence directe d’une malveillance institutionnelle.

    Les colonnes de béton ornent les jardins de Carthage, un quartier stoppé net dans son idée d’améliorer le train de vie des habitants les plus aisés, au détriment de ceux qui doivent arracher un lendemain à leur existence éphémère. Par défaut, ce sera le bûcher qui viendra les délivrer de leur supplice. Si l’objectif de ces lucioles de braises a autrefois trouvé leur écho auprès de leurs semblables, Chebbi choisit de conter la démarche collective et inconsciente d’un peuple à l’agonie, à travers une succession de torches humaines, que les forces de l’ordre cherchent à rationaliser ou à simplement en étouffer la symbolique. La jeune Fatma (Fatma Oussaifi) piste ainsi les signaux lumineux, qui réveillent toute la cité tunisienne, que l’on sent égarée, pour ne pas dire fantomatique. Son obsession rencontre une mise en scène vertigineuse lorsque qu’il s’agira d’investir les lieux des crimes, commis dans le silence, afin que l’on revienne sans cesse sur ses pas.

    La quête hallucinée de la police dévoile par ailleurs les limites de cette institution, qui trouve bien plus de temps à étudier les causes des décès que de raisons pour préserver l’intégrité des vivants. Chacun se relance la balle maudite, qui embrasera le possesseur le plus statique et le plus clairvoyant sur l’impasse qu’il a lui-même emprunté. Batal (Mohamed Houcine Grayaa) est de cette nature, avec la dose de corruption qu’on associera facilement au portrait-robot d’un coupable sans visage, car simplement défiguré par la colère et le chagrin qu’il contient. C’est donc tout un arsenal inflammable qui défile devant nous, avec des jeux d’ombre et une ambiance fantastique pour isoler les protagonistes. L’émotion y naît, de même que la fracture sociale qui nous empoigne et qui consume les craintes de chacun.

    « Ashkal » est donc un polar halluciné, qui mêle les genres afin de calquer la confusion collective qui frappe les ouvriers, qui s’enflamme sans raison apparente. Le mystère reste entier, symbolique, religieux et le film détourne constamment les codes du thriller pour se plonger dans une peinture en mouvement et qui cherche sa forme ultime. Le souci est que tout cet amas de style est vain dans ses derniers instants. Le retour de bâton que l’on souligne perd toute sa hargne contre une poignée de cendre chaude. Il y a de quoi interpeller, mais jamais assez de matière pour nous laisser de vives cicatrices.
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