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    Le Lauréat
    Le Lauréat
    4,5
    Publiée le 20 décembre 2020
    Le Nouvel Hollywood appelle de nouveaux enjeux et de nouvelles perspectives. À tout moment, l’avenir est remis dans son contexte et celui de ce film épouse tout l’espace que l’Amérique lui dédie. Mike Nichols, qui est pourtant au début de sa carrière, s’illustre en insufflant une légèreté et une profonde réflexion à ses plans. On se garde ainsi d’identifier les compromis qui ont eu lieu à une période charnière, qui avait encore du mal à accepter la décadence et les tabous, malgré le service ludique et bénéfique du récit. A l’écrit, il nous apparaîtrait si court, mais à l’écran, l’esprit du cinéma invite chaque spectateur à se laisser bercer par la mélancolie de l’aventure. Entre la jeunesse égarée et la frustration conservatrice des aînés, le réalisateur nous offre une merveilleuse adaptation du roman de Charles Webb.

    C’est un homme brisé d’avance que l’on découvre, en train d’errer depuis le siège de son avion à la réception qui lui est dédiée et en passant par une sortie d’aéroport si évocatrice, si significative et si déterminante. Le fraîchement diplômé, Benjamin Braddock (Dustin Hoffman), n’est plus qu’un corps animé par la réflexion, car il ressent le besoin de chercher son destin et non celui dicté par ses parents, son voisinage ou même un tapis roulant. Il faut se rendre à l’évidence que le premier acte le présente dans un monde ou système autoguidé, qui trace les limites pour lui. Malgré sa réussite dans ses études, que lui confère réellement le statut professionnel qu’il a vaillamment arraché pour enfin exister ? Malheureusement plus grand-chose à l’heure où la caricature de la culture américaine semble coller à la peau du jeune Braddock. Il se renferme ainsi dans son antre et de plus en plus dans le cadrage radical de Nichols, jusqu’à le noyer, seul au fond de son jardin. Mais il ne s’agit pas d’une solitude qu’il rejette, bien au contraire. C’est pourquoi ses faiblesses nous apparaissent avec une grande clarté et une grande innocence, que l’on confondrait avec le puritanisme. Ce jeune homme a donc besoin de défaire ses chaînes et se libérer du joug de ses contraintes sociales.

    Suite à sa rencontre avec la séductrice et la « plus belle amie de ses parents », Mrs. Robinson (Anne Bancroft), les deux finissent par joindre leur frustration, due à leur enfermement et leur conditionnement au milieu sociétal qu’ils refusent d’épouser. Pivot à plusieurs niveaux de lecture, leur relation entrainera scandale, vice et désir, des éléments précurseurs donnant l’élan nécessaire à l’œuvre de se projeter dans une ère nouvelle et à ce personnage une issue, dont chacun est libre de l’emprunter ou non. Benjamin l’a rapidement compris, bien que son mépris puisse lui couper toute perspective d’évolution. Et pourtant, un coup de poker et un jeu de regard suffisent à le ramener dans le droit chemin. Il découvre une joie de vie qui lui pend au nez et avec toute sa vitalité, il choisit radicalement de se libérer et donc de changer sa condition. Cette clé de voute s’appelle Elaine (Katharine Ross), qui baigne dans un entre-deux, mais qui convoite tout de même avec curiosité la spontanéité de Benjamin. Ce dernier envisage ainsi un virage si soudain qu’il finira par prendre sa vie en main et s’octroie le pouvoir de concevoir son propre monde, certes plus instable et plus discutable, mais certainement plus mature que la précédente génération.

    D’énormes lacunes sont à combler et pourtant le film n’en oublie pas une miette. Il suffira que l’instant d’un doute et l’instant qui le prolonge viennent s’entrechoquer, pour investir toute la mélancolie du récit. Le dernier plan en témoigne et d’une puissance fulgurante, sans compter une mise en scène inspirée et audacieuse tout le long du périple. L’amour n’est donc plus qu’un registre voué à briser ses propres codes, dont celui de l’église. Le duo du groupe folk rock, Simon and Garfunkel, accompagne également de manière solennelle cette ascension. Et malgré la redondance d’un refrain à succès, celui-ci n’évoquera pas la même profondeur à chacune de ses irruptions. « Le Lauréat » (The Graduate) manifeste ainsi la détresse de ses personnages et développe l’émancipation d’un Benjamin en quête du libre arbitre, qu’on lui a refusé, par principe et par convention. Le dénouement s’abstient d’ailleurs de répondre à la problématique de sa destination, comme si on léguait cette démarche aux spectateurs et à une génération à l’aube de sa révolution culturelle.
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