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    Rencontre avec Viggo Mortensen, mi-saigneur mi-agneau chez Cronenberg

    Loin de l'univers du "Seigneur des anneaux", qui a fait de lui une star, Viggo Mortensen explore les frontières du Bien et du Mal dans "A history of violence", sorti hier. Allociné l'a rencontré.

    Le personnage de Tom Stall est un rôle particulièrement riche et complexe : jouer avec ses identités, c'est le propre d'un acteur.

    C'est un rôle formidable, l'un des meilleurs qu'on m'ait proposés. Mais pour moi, chaque rôle est complexe car tous les êtres humains sont complexes. Malheureusement, tous les metteurs en scène ne sont pas David Cronenberg... Ils n'ont pas tous comme lui la capacité, et le courage, de permettre aux acteurs de transmettre cette complexité.

    Vous vous êtes particulièrement impliqué sur ce film. De quelle manière ?

    Je suis toujours très impliqué dans les films que je tourne, mais seulement dans la mesure où le réalisateur m'y autorise. Et David a accepté mes propositions, comme il le fait depuis toujours avec tous ses comédiens. Je ne l'ai jamais perçu comme quelqu'un qui pourrait se sentir menacé, en tant qu'artiste, par les idées des autres. Il peut bien sûr rejeter vos idées, mais parfois aussi il en tient compte. Cette façon de faire contribue à vous mettre à l'aise et vous donne envie de donner toujours plus. Et puis, lorsque c'est quelqu'un que vous admirez, vous avez envie de faire du bon boulot, pas seulement pour vous ou pour le film. Vous voulez donner à David ce qu'il attend de vous, parce que sa vision du film est extrêmement claire. Et ce qui est génial, c'est qu'il vous fait sentir que vous êtes son allié, que vous menez la bataille ensemble.

    Le film est parfois provocateur, et contient plusieurs scènes fortes. Laquelle vous a semblé le plus difficile à tourner ?

    Je ne saurais pas vous citer une scène en particulier. Vous savez, parfois, il n'y a rien de plus compliqué qu'une scène avec uniquement des dialogues. Ce qui m'a particulièrement plu dans mon travail d'acteur sur ce film, et David m'a encouragé à aller dans ce sens, c'est de jouer sur des variations infimes, car les réactions du personnage sont toujours très subtiles, comme c'est souvent le cas dans la vie lorsqu'on cherche à se protéger. Pour la scène entre Tom et son frère, nous avons beaucoup travaillé avec David et William Hurt, nous avons reconstruit l'histoire de ces hommes. Quand mon frère me parle, j'écoute ce qu'il dit, mais j'observe en fait avant tout ce qu'il exprime avec son corps. Lorsqu'il commence à raconter des blagues et à faire le pitre, je sais que ça devient dangereux et que ça va mal tourner. Mais pour moi, tout ce travail ne représentait pas une difficulté, c'était un plaisir : il y avait comme un défi dans cette recherche de subtilité à laquelle m'invitait le réalisateur.

    Le film est aussi une critique de la représentation de la violence dans le cinéma hollywoodien. A cet égard, vous sentez-vous une responsabilité en tant qu'acteur ?

    Je me sens responsable, dans le sens où je ne veux pas participer à un film qui n'a rien à raconter. Quand j'ai lu le scénario de A history of violence, avant de savoir que David le tournerait, j'ai eu peur qu'à l'arrivée cela donne un de ces films sans intérêt qu'on voit à longueur d'année. David avait les mêmes craintes, et d'ailleurs il a changé certaines choses. Dans le script, le héros était plus proche du roman graphique, qui a servi de base au film. Par exemple, lorsqu'il se retrouvait confronté à son passé, il décidait d'acquérir toutes les armes possibles et imaginables pour se protéger. Ca m'a posé problème, car il me semble qu'un tel comportement ne mène nulle part. Si vous dites "Je rejette la violence, et j'ai l'espoir que les choses changent", alors il faut commencer par faire soi-même des sacrifices. Sinon, c'est un peu comme un pays qui dirait : "On ne veut pas que vous ayez l'arme nucléaire, mais nous, on a le droit..." Ca n'a pas de sens. De ce point vue, oui, je me sens responsable, mais pas tant vis-à-vis du monde ou des autres que de de moi-même : je veux choisir des films qui me semblent moralement justes, en essayant d'être honnête avec moi-même.

    Après le succès mondial du "Seigneur des anneaux", on aurait pu s'attendre à ce que vous enchaîniez les tournages. Or, cela n'a pas été le cas...

    Beaucoup d'opportunités se sont offertes à moi, comme d'ailleurs à tous ceux qui ont fait partie de cette aventure. J'aurais donc pu en effet tourner dix ou douze films depuis Le Seigneur des anneaux, mais pour cela, il faut ne pas avoir de vie à côté, et puis aussi accepter de tourner un film sans aucune préparation. Mais je dois dire que j'ai travaillé autant que j'ai pu et voulu, et que j'ai été plutôt chanceux.

    En dehors de votre travail d'acteur, vous êtes peintre, musicien, vous écrivez des poèmes. On ne serait pas étonné de vous voir passer derrière la caméra.

    Un jour, peut-être... C'est vrai que je m'intéresse aux images, aux mots. Et puis j'aime les acteurs, j'aime raconter des histoires. Pour moi, toutes ces diférentes formes d'expression, la photographie, la peinture, l'écriture, la musique, correspondent à la même chose : il s'agit d'observer, d'interpréter et d'exprimer ce que vous voyez, ce que vous ressentez. Mais tourner un film, cela demande du temps, de la patience -après avoir travaillé avec quelqu'un d'aussi brillant que David Cronenberg, c'est encore plus évident. Il faut une grande capacité de concentration. Je refuse donc de tourner un film simplement parce qu'on m'en donnerait les moyens. Beaucoup de gens, et notamment les acteurs, le font simplement pour pouvoir dire qu'ils ont réalisé un film. Et à l'arrivée, ils font un film naze, parce qu'ils n'ont pas de vision, et ne se sont pas réellement investis. Donc cela me plairait de réaliser un film - et pour être honnête avec vous, j'y ai même déjà réfléchi- mais je préfère attendre, car je veux prendre le temps de faire les choses bien.

    Recueilli par Julien Dokhan le 20 octobre 2005

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