Mon compte
    "John Rambo" par Stallone

    La guerre, la violence, la Birmanie, la spiritualité, le cinéma, Jason Bourne, Arnold Schwarzenegger, George W. Bush : à l'occasion du retour de Rambo, Sly se confie...

    Stallone vu par son doubleur

    Comment devient-on la voix française de Sylvester Stallone ?

    Alain Dorval : Tout bêtement sur des essais pour le premier Rocky. Il y a un peu plus de trente ans, car ça doit remonter à 1976. Mais on ne compte quand on aime. Avant ça, j'ai suivi un cursus normal de comédien : conservatoire, théâtre, télévision... Et puis le hasard a fait que je suis rentré dans cette activité de doublage, j'ai fait un essai pour ce personnage, et j'ai été retenu.

    A l'époque, Sly était à peu près inconnu : quel a été votre premier regard sur le film "Rocky", et sur le comédien ?

    J'aime énormément le premier et le dernier film de chaque saga, que ce soit Rocky ou Rambo. Pour les deux franchises, je crois que le premier film a étonné pas mal de gens à l'époque. Ce qui m'avait notamment marqué, c'étaient les qualités d'écriture des films, car c'est aussi Stallone qui les écrit. Il a inventé des personnages qui sont devenus mythiques, il leur a donné forme et vie... Et ce qui est fort, c'est qu'il ait réussi à mener les deux de front, parce que quand on devient une sorte d'archétype comme ça, c'est étrange de réussir à en devenir deux, finalement très différents l'un de l'autre.

    Sachant que pour les spectateurs français, vous et votre voix êtes indissociables de ce mythe...

    C'est difficile pour moi d'en juger et d'avoir un avis là-dessus. Sachant de toute façon que ça ne sera jamais aussi bien que l'original. Quel que soit le doublage. Vous savez, le doublage, c'est une activité très humble qui consiste à s'effacer derrière quelqu'un. On n'est pas là pour briller à la place de, ni refaire le film... Il faut servir l'acteur et le film le mieux possible. Il faut essayer de rentrer dans l'image pour donner au spectateur l'illusion que la voix en sort et que le spectateur ne se pose pas de question. Le doublage se remarque quand il n'est pas bon finalement : quand il est bon, on doit l'oublier et simplement croire que le personnage parle dans une langue qui n'est pas la sienne. C'est un challenge assez amusant.

    Quand on voit la bande-annonce française de "John Rambo", on a l'impression que certaines nuances de la version originale ont été gommées et que Rambo est un peu réduit à une machine de guerre...

    Au niveau du film, les intentions de la version française respectent la version originale. Le problème, c'est que je ne suis pas adaptateur. Et effectivement, il peut y avoir dans la bande-annonce une volonté du service marketing du distributeur qui ne corresponde pas toujours à ce qui a été fait dans le film. Mais ça, je ne le maîtrise pas toujours et je n'y suis pour rien...Nous ne sommes en l'occurrence que des instruments : la partition, nous ne l'écrivons pas. Vous savez, les distributeurs ont parfois des idées amusantes : je me souviens du premier film que Stallone avait réalisé, Paradise Alley qui a été rebaptiséLa Taverne de l'enfer en France ! (Rires) J'en ai déduit qu'on vendait mieux le bon Dieu de l'autre côté de l'Atlantique, et le Diable par ici...

    On demande souvent aux comédiens qui reprennent un rôle si c'est difficile pour eux de retrouver le personnage. Qu'en est-il pour vous sur les "Rocky" et les "Rambo" ?

    Très sincèrement, je ne trouve pas ça compliqué. Je ne peux pas vous dire mieux... C'est assez amusant d'ailleurs de voir que dans Rocky Balboa et John Rambo, il y a des scènes de flashbacks très fugitifs des premiers films. Donc on a pu comparer ce que je faisais aujourd'hui avec mes prestations de l'époque. Du moins sur les Rambo car je ne me souviens plus s'il a fallu le faire sur les Rocky. Mais en tout cas, ça raccordait très facilement. La seule chose, c'est qu'il a fallu refaire ces lignes de dialogue car le texte devait être adapté à la situation d'aujourd'hui par rapport aux flashbacks. Mais que ce soit moi ou les preneurs de son, je crois qu'on se retrouvait dans les mêmes marques. Et c'est amusant car j'ai enregistré John Rambo avec le technicien avec qui j'avais travaillé sur le premier Rocky.

    Du coup, comme Sly, j'imagine qu'on se rend compte du nombre d'années passées depuis qu'on a rencontré ces personnages...

    Je vous ai dit : quand on aime, on ne compte pas ! On évite d'en parler : vous allez m'envoyer à la retraite ! (Rires) Mais que ce soit lui ou moi, pour un certains nombre de gens, on en a l'âge.... Mais ça ne se voit pas et je vous remercie de le ponctuer ! (Rires)

    Vous évoquiez la qualité du premier et du dernier film de chaque saga. Quel regard portez-vous sur les volets intermédiaires, qui sont quand même globalement moins bons ?

    J'aime les autres, mais je me souviens que le premier Rocky m'avait étonné. Quant au premier Rambo, même si je ne maîtrisais pas parfaitement l'anglais, j'en avais pris plein la gueule. Ce qu'on n'a pas ressenti avec Rambo II et Rambo III qui donnaient une image un peu archétypale du gendarme américain qui vient remettre de l'ordre dans le monde. Alors que le premier, je l'ai pris pour un film antimilitariste. Clairement. Regardez ce qu'on a fait d'un homme qui est devenu une machine à tuer. Après, ça reste du grand spectacle, mais le premier film était très saignant. Comme John Rambo d'ailleurs, mais pour d'autres raisons...

    Oui, c'est un film ultra-violent, mais dans le "bon" sens du terme si l'on peut dire...

    Oui, car ce n'est pas gratuit. Il a des choses à dire dans ce film. Je ne connaissais pas l'histoire de la peuplade des Karens, qui est dans le nord de la Birmanie et qui est opprimée d'une manière innommable par la junte militaire. C'est cru dans le film, mais c'est bien d'en parler... Il y a aussi un moment où on se dit "Comment va t-il parvenir à nous pondre quelque chose de nouveau ?" Et bien Stallone le fait sur ce film, en montrant ces gens qui prétendent aller évangéliser des peuplades, une espèce d'ONG con dont quelques références récentes dans l'actualité pourraient nous montrer que c'est un pléonasme. Il y a quand même des coïncidences parfois... Des gens qui, avec de bonnes intentions, foutent une merde pas possible. Ca leur retombe parfois dessus, mais ça ne retombe pas que sur eux, c'est ça l'ennui. On a eu d'autres exemples, mais nous ne sommes pas ici pour commenter l'actualité... (Rires) Hormis celle de Sly.

    Avant même de voir les images et de réaliser la qualité de "Rocky Balboa" et "John Rambo", quelle a été votre première réaction quand on vous a annoncé que Sly remettait ça avec ces deux personnages ?

    J'en ai parlé avec lui l'année dernière, et il voulait vraiment faire Rocky Balboa. Je crois qu'il a eu autant de difficultés à faire le sixième qu'à faire le premier. Il a mis six ou sept ans à monter le projet ! D'autre part, le problème de l'âge ne se pose pas car il ne cherche pas à passer pour autre chose que ce qu'il est. Il ne joue pas le gamin, il ne veut pas faire croire que... C'est un mec qui a son âge, et étant très compétiteur, il a su faire les choses dans un certain contexte pour échapper au ridicule. Et tout ça est parfaitement plausible, c'est ce qui est étonnant. Pour John Rambo, je ne savais pas trop à quoi m'attendre mais il a réussi à trouver une histoire qui tient la route, avec une réalisation vraiment étonnante. Et puis il a tout fait. D'ailleurs, quand je l'avais rencontré, je lui avais dit que j'admirais ses qualités de scénariste de dialoguiste. C'est peut-être moins évident sur Rambo mais dans les Rocky il y a des dialogues magnifiques. Et puis dans les deux films, il fait ses adieux au personnage : il l'a fait très joliment dans Rocky Balboa en quittant le ring, et c'est évident que c'est aussi lui qui quitte Rocky. Et dans John Rambo, je crois qu'il quitte aussi le personnage, puisque c'est la première fois que Rambo revient dans son chez-lui, si tenté qu'il en ait un aux Etats-Unis...

    Préparez-vous à repartir au front car il nous a avoué penser sérieusement à un "Rambo 5"...

    C'est pas vrai ?

    Avec un Rambo qui découvrirait en quoi son pays a changé en 30 ans...

    Et bien pourquoi pas ? En tout cas, ce serait autre chose... Il y avait de toute façon des milliers de façons d'envisager Rambo II car à la fin du premier, il allait en taule. Et C'aurait pu être le procès de Rambo. Mais bon, ça a été autre chose car si je me souviens bien, il était en prison et son colonel chéri est venu le sortir de là pour une mission... Mais je crois aussi que Stallone avait en projet d'adapter la vie d'Edgar Poe, en le réalisant sans jouer dedans.

    Il a l'air de vouloir se concentrer sur la réalisation et l'écriture...

    Je crois que la réalisation, c'est pour lui un moyen d'aller au bout de son écriture. De vivre son rêve jusqu'au bout. Et je suis certain qu'il est aussi à la table de montage... C'est quelqu'un qui fait un film de A à Z. D'ailleurs, sur John Rambo, on voit au générique que c'est "Un film de". Entièrement, quoi. C'est ça qui est passionnant chez le bonhomme...

    Rambo est un personnage très silencieux finalement. J'imagine qu'en tant que comédien de doublage, Rocky a plus d'intérêt pour vous...

    C'est différent. Ce qui est amusant, c'est de voir que les deux sont issus de l'immigration. Rocky est un immigré italien, avec un côté latin, très extraverti. Rambo a, je crois, des origines indiennes : donc d'une certaine manière, on pourrait dire que c'est un immigré de l'intérieur. Et ils ont en commun le fait de vouloir prouver chacun que ce sont de bons Américains. Mais ce sont deux personnages qui dans le comportement sont opposés., c'est ça qui est chouette. Mais je prends autant de plaisir à faire l'un que l'autre. En tout cas je m'amuse. C'est le principal.

    Est-ce que vous avez regretté la tournure un peu caricaturale qu'ont pu prendre ces deux personnages sur les films intermédiaires, mais également la carrière de Sly ?

    Déjà, il y a quelques films de Sly que je n'ai pas fait...

    Pourquoi d'ailleurs ?

    C'est simple : une société de doublage m'a payé avec un chèque en bois. J'ai annoncé ça à une assemblée générale de comédiens et après on ne m'a plus fait travailler. Ce sont des gens avec qui je travaillais régulièrement et qui ont décidé tout à coup que j'étais aphone, j'imagine... Ou que je ne convenais plus pour ces personnages. Mais bon, on ne va pas épiloguer sur ce genre de choses. Donc en tout cas, il y en a certains que je n'ai pas fait, donc je ne le connais pas tous... J'en ai fait d'autres en dehors des Rocky ou des Rambo : Cliffhanger et Daylight me viennent à l'esprit notamment. Ce sont des films qui ne déméritent pas par rapport au reste. C'est du grand spectacle. Et je crois qu'il y a quelque chose de caractéristique avec Stallone : c'est que le spectateur sait ce qu'il va voir, et il en a pour son argent. Ce qui est déjà pas mal ! On ne trompe pas les gens. S'ils veulent voir une comédie sentimentale, ils ne vont pas voir Rambo. Donc à partir du moment où ils savent ce qu'ils vont voir, je trouve qu'ils en ont pour leur argent, ce qui est important. Et lui s'investit totalement dans ce qu'il fait. Après, il aurait peut-être pu faire mieux, il aurait peut-être pu faire autre chose... Qui est exempt de ce genre choses ? Et puis il a beaucoup de recul par rapport à ça : si on regarde n'importe quel artiste qui sort le moindre disque en France et qui se la "pète", Sly reste d'une très grande simplicité, tout à fait abordable. Un homme "normal", quoi.

    Quels relations avez-vous avec lui, justement ?

    On ne s'est rencontrés qu'une seule fois, l'année dernière, pour la promo de Rocky Balboa. J'ai eu beaucoup de plaisir à le croiser. C'est un personnage hors du commun quand même. Aussi parce qu'il est relativement marginal dans le cinéma américain. Je ne pense pas qu'il soit dans le système : on dit entre autres qu'en tant que réalisateur, c'est l'un des seuls à avoir eu le final cut. C'est très rare. J'aimerais bien lui demander d'ailleurs...

    Que retenez-vous de ce "John Rambo" ?

    Il y a une bande son incroyable. On s'est fait la réflexion avec l'ingénieur du son : il y a sans doute le plus beau coup de feu de l'histoire du cinéma sans doute. Dans la scène où il demande à la fille de tirer en l'air, le son est magique. C'est l'idée qu'on peut se faire d'un coup de feu, quoi. C'est magnifiquement fait. Il y a de très belles images aussi. Et puis j'aime beaucoup l'atmosphère. On le voit sur l'affiche d'ailleurs, on a l'impression qu'elle est striée, car elle est balayée par la pluie. Et c'est une constante dans le film on est tout le temps dans l'eau, dans la moiteur... Ca correspond à l'idée qu'on peut se faire de la jungle.

    C'est aussi un film terriblement pessimiste par rapport aux deux précédents opus où il jouait un peu les gendarmes du monde comme vous le disiez...

    On peut changer le monde, à condition d'avoir des armes. Il le dit clairement. Vous savez, c'est quand même très difficile d'être optimiste quand on voit ce qui se passe au Kenya en ce moment, par exemple. Moi, j'ai eu la chance d'y aller à une époque où on pouvait se promener. Aujourd'hui, il faut s'accrocher...

    Est-ce que vous vous êtes senti prisonnier de votre voix, du moins de la voix de Stallone à un moment de votre carrière ?

    Quand on me dit voix reconnaissable, ça m'amuse beaucoup. J'ai été pendant une douzaine d'années la voix de Skyrock. Et des gens croyaient que j'étais uniquement la voix de Skyrock, et qui n'avaient même pas fait le rapprochement avec la voix de Stallone. Par ailleurs, il m'arrive encore de participer aux Guignols de l'Info : quand je dis ça, tout le monde pense que je fais la voix de Sylvestre, alors que ça n'a jamais été le cas. C'est Yves Lecoq qui fait ça. J'ai des amis qui restent persuadés que je fais la voix de Sylvestre et qui ne me reconnaissent pas dans ce que j'ai fait avec ma voix normal. Dans Rocky, c'est mon camarade Serge Sauvion qui double Paulie. C'est la voix de Columbo ! Est-ce que vous avez pensé à Columbo en regardant Rocky ? Et Serge fait comme moi, partie de ces gens à qui on dit : "Tu as une voix reconnaissable entre mille". Et bien non. Donc, ça m'amuse...

    Il y a une époque où j'ai fait pas mal de publicités. J'en ai même fait pour des gouvernements : s'ils avaient su dans les cabinets que j'étais la voix de Stallone, ils ne m'auraient peut-être pas engagé. Je ne me pose pas la question en fait. Je ne trafique pas ma voix, j'essaye simplement de sortir de l'image... Ce que les gens veulent souvent, c'est la voix des Guignols : contactez Yves Lecoq ! En plus, je ne sais pas le faire. J'ai demandé à Yves de me montrer, mais je ne sais pas le faire. C'est lui qui sait faire ça, et il le fait très bien. D'ailleurs, ça m'amuse énormément quand j'enregistre à côté de lui et qu'il le fait. C'est savoureux...

    Finalement, Sylvestre est un peu votre Guignol aussi : la marionnette est une parodie de Stallone, mais la voix est une parodie de la vôtre...

    Oui, bien sûr. Mais qui reste assez éloignée de la mienne. Yves a créé une sorte d'archétype vocal, de même que la marionnette qui était au départ plus proche de Stallone. Mais depuis qu'ils ont créé le personnage de Sylvestre, ils ont vraiment créé autre chose. En attendant, Yves m'a toujours dit qu'il n'arrivait pas à imiter ma voix "normale". (Rires)

    Propos recueillis par Yoann Sardet le 31 janvier 2008

    Photo d'Alain Dorval : © ON AIR International

    FBwhatsapp facebook Tweet
    Commentaires
    Back to Top