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    Polémique sur l'affiche de "L'Inconnu du Lac" : "On est en plein dans l’homophobie tout simplement..."

    L'affiche de "L'Inconnu du Lac" a été censurée dans les villes de Saint-Cloud et de Versailles. Allociné a contacté son réalisateur Alain Guiraudie ainsi que Camille Verry de la société de distribution du film. Réactions...

    Allociné : L’affiche de L' Inconnu du lac a été censurée dans les villes de Versailles et de Saint-Cloud. Que ressentez-vous ?

    Camille Verry, distributrice : Nous sommes assez surpris car cette affiche est très belle et n’a certainement pas été faite dans une visée provocatrice. Pour nous, elle n’a rien de choquant, ni de pornographique. En outre, il s’agit d’un dessin donc tout est symbolisé. Il n’y a pas de violence. Tout ceci nous attriste...

    Alain Guiraudie, réalisateur : Lorsque je l’ai appris hier soir, je me suis dit "c’est n’importe quoi". L’affiche n’a absolument pas été faite pour choquer, j’aurais aimé que l’on y voit un baiser tout "con". Après, cela vient de Saint-Cloud, de Versailles, autrement dit de mairies UMP et d’un milieu plutôt bourgeois… Je trouve cela affligeant. C’est toujours pareil, ils ne lâchent rien,  veulent protéger leurs enfants de l’homosexualité ou d’images dites choquantes. Mais un enfant à l’heure actuelle, les images choquantes, il en voit à foison. Et ici, il s’agit plutôt d’une image apaisante et douce. On cherche à mettre les enfants dans des cocons et on parle de les protéger, mais de quoi ? On est en plein dans l’homophobie tout simplement ...

    Aviez-vous imaginé que cette image puisse choquer ?

    Camille Verry : Non, pas du tout ! Nous avons beaucoup réfléchi à cette affiche, nous l’avons travaillée avec le réalisateur et les producteurs, tous ensemble. C’est une affiche qui est vraiment à l’image du film, avec un côté un peu facétieux, avec de la passion, du danger. Pour nous, elle représente justement tout l’univers du film tout en restant assez sobre, notamment par rapport à ce qu’est le film. En plus, nous l’avons montrée à beaucoup de gens, elle était déjà prête au moment de Cannes et nous avions eu de beaux retours à son sujet. Franchement, nous sommes tombés des nues. Il y a eu plusieurs projets mais c’est cette affiche finale qui a emporté l’adhésion et nous n’en avons pas d’autres.

    Alain Guiraudie : Nous avions évoqué la question avec le dessinateur Tom de Pékin qui a l’habitude de la censure, notamment dans les musées où il a affaire aux associations de protection de l’enfance ou à des familles qui tentent d’interdire des expositions. Il nous avait dit "Allons-y tranquillement avec cette affiche, n’allons pas chercher d’ennui." On l’a donc vraiment conçue dans cet état d’esprit.

    Qu’est-ce qui, selon vous, pose réellement problème à vos détracteurs ?

    AG : C’est une bonne question, je me la suis posée et je n’ai pas encore tout compris ! C’est le baiser entre deux hommes, non ? A un moment, je me suis dit que c'était peut-être lié à cette situation de fellation à l’arrière-plan, mais c’est tout petit, je ne pense pas que ça soit cela, au fond. Après ce que je sais c’est que la société JCDecaux, qui possède les espaces d'affichage, a obtempéré à la demande de deux municipalités. Ce sont des parents qui se sont plaints. Avec cette affiche, c’est comme si on prolongeait la bataille contre le mariage pour tous, or ce n’est pas ce que je voulais. Je voulais montrer deux hommes qui se rapprochent. Le film met en scène des hommes qui font l’amour, oui, mais l’idée est avant tout de parler du désir et de l’amour justement. J’aurais vraiment aimé que l’on voie deux personnes et non pas deux hommes qui s’embrassent.

    Quel peut être l’impact sur l'exploitation du film en salles ? Allez-vous réagir à cette interdiction ?

    CV : La société JCDecaux nous a bien confirmé qu’elle avait des contrats avec les municipalités, autorisant ces dernières à demander le retrait d’une campagne si elles le souhaitaient. Elles sont donc dans leur droit. Nous n’allons en outre pas réagir parce que ce problème concerne dix affiches en tout et pour tout. En effet, nous avions acheté un réseau principalement dans Paris avec quelques extensions en région parisienne. Pour nous, cela reste minimal, l’important étant l’affichage dans Paris intra muros. Le film n’était même pas prévu en salles dans ces villes-là, tout simplement parce que ce public n’était pas a priori celui qu’on cherchait à toucher en priorité. Nous sommes attristés du signal que cela donne mais en terme de retombées sur le film, cela ne nous impacte pas beaucoup. Nous avons le soutien assez unanime des exploitants, UGC, Gaumont et les autres, c’est le principal. Le film sort dans ces salles et on espère qu’il fera le plus d’entrées possible. Il s’agit avant tout d’un grand film de cinéma qui a été salué par la presse au moment du Festival de Cannes et qui continue à l’être aujourd’hui.

    AG : Ça ne change rien, à la limite c’est même un petit coup de pub pour nous. Ce qui est très énervant, c’est le fait que ces gens attaquent tout. C’est plutôt cette accumulation-là qui commence à devenir pénible. Après l’essentiel reste le film, qui contrairement à son affiche, sera vu uniquement par ceux qui en ont fait la démarche. Concentrons-nous là-dessus.

    Justement, revenons au film. Diriez-vous qu’il est, peut-être plus que jamais, politique ?

    AG : Il n’est pas polémique mais il est politique oui. De toute façon, aujourd’hui, le fait d’érotiser des corps ordinaires, de paysans ou d’ouvriers, des corps qui ne sont pas ceux d’éphèbes ou de jeunes gens urbains et aisés, c’est déjà en soi révolutionnaire ! Attention cependant, le film met en scène une sexualité libre et n’est absolument pas fait en faveur du mariage pour tous. Il n’est pas fait pour le mariage tout court, en fait ! C’est un film politique, mais pas militant.

    CV : Alain Guiraudie essaie de montrer l’homosexualité comme une donnée parmi d’autres, sans en faire le sujet central du film. C’est une histoire de désir et de mort qui aurait pu s’inscrire aussi bien dans un contexte hétérosexuel. Il aimerait justement que l’homosexualité ne soit plus un sujet en soi dans un film. C’est en ce sens là que son film est politique. Pour moi, cela dit, le film n’aborde pas les questions actuelles que se pose notre société.

    Avec cette polémique, il entre malgré lui en résonance avec ce que traverse la société française aujourd’hui…

    CV : Oui… Cette polémique nous rappelle que, même si ce n’est pas son objet, L'Inconnu du Lac s’inscrit dans un contexte où la question de l’homosexualité est sensible, chose que nous n’avions pas forcément anticipé à ce point. On se rend compte du degré de crispation autour du mariage pour tous. Le film, sans être un manifeste pro-mariage pour tous, arrive un peu là par hasard ...

    AG : Honnêtement, je n’aurais jamais cru qu’un baiser puisse choquer à ce point. Le débat sur le mariage pour tous a instauré un vrai climat de méfiance, qui vient, il faut le dire, directement de l’ouest parisien… Cela dit, la question à se poser est la suivante : est-ce qu'il y a six mois ou un an, cette affiche aurait choqué ? Est-ce que des gens auraient entrepris ce genre de recours, auraient fait enlever l’affiche des murs de leur ville ? Je n’en sais rien.

    Propos recueillis par Laetitia Ratane le 11 Juin 2013

    Pour en savoir plus :

    "L'Inconnu du Lac : l'affiche interdite !"

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    L'affiche en question

    Rencontre avec Guiraudie et ses acteurs à Cannes

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