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    Mytho sur Arte vue par ses créateurs : "La famille, c'est le premier endroit du mensonge"

    Entretien avec les créateurs de la série, Anne Berest et Fabrice Gobert, à l'occasion du festival de la Fiction de la Rochelle.

    Unité de production/ARTE France

    Quel a été le point de départ de Mytho?

    Anne Berest, créatrice et scénariste : Le point de départ de la série est une expérience que j'ai vécue, puisque ma mère a eu un cancer du sein, dont elle a heureusement été guérie. Pendant cette année de combat contre la maladie, j'avais observé que le cancer avait beaucoup de répercussions sur la tectonique des plaques du familial. C'est ce que j'ai voulu retransmettre dans la série : qu'est-ce que la maladie crée dans une famille ? Il y a la question du mensonge en plus, mais c'était le point le départ. La famille, c'est le premier endroit du mensonge : on commence à mentir à ses parents à l'adolescence, et en grandissant on comprend que nos parents nous ont menti. Devenir adulte, c'est aussi ça ! Ce qu'on questionne à travers la série, c'est à quel endroit le mensonge est vertueux, et à quel endroit il devient un poison. Dans une société où on nous demande en permanence d'être transparents et de dire la vérité, au fond la famille est le dernier refuge où le mensonge est possible.

    Fabrice Gobert, réalisateur : Parmi nos références, nous avons beaucoup parlé de Breaking Bad, avec cette même notion d'engrenage du mensonge lié à la maladie. En rencontrant Marina Hands pour le rôle d'Elvira, je l'ai prévenue qu'elle se lançait dans quelque chose dont elle ne pouvait absolument pas anticiper l'issue, un peu comme le personnage de Walter White !

    Fabrice, vous aviez précédemment travaillé sur Les Revenants à la télévision. Qu'est-ce qui vous a séduit dans la proposition d'Anne ?

    Fabrice Gobert, réalisateur : Anne et Bruno Nahon, le producteur, m'ont fait lire les scénarios et m'ont proposé la réalisation des épisodes. Je les ai lus très très vite car j'aimais beaucoup le point de départ, je trouvais ça intéressant de parler de la famille mais en prenant comme point de départ un personnage qui n'en peut plus et décide de mentir aux autres, et en observant les répercussions que ça peut avoir pour chaque membre de la famille. Quand j'ai commencé à lire les scénarios, j'ai senti que non seulement le point de départ et le personnage principal était biens, mais que tous les autres personnages autour étaient fouillés, intéressants, qu'il se passait beaucoup de choses et qu'il y avait un engrenage qui se mettait en place qui rendait vraiment la série passionnante. J'ai lu le tout très vite et j'ai répondu très favorablement, j'avais beaucoup de chance qu'on me la propose.

    Mytho présente un univers visuel très caractéristique, une sorte de "Desperate Housewives" à la française avec ces banlieues pavillonnaires très impersonnelles et ce voisinage idéal en surface...

    Fabrice Gobert : Oui c'est ça, dans le scénario il y avait cette idée de domaine pavillonnaire, que j'ai déjà eu l'occasion de filmer par le passé et qui me tient à cœur. C'est aussi un endroit d'où je viens, et d'où vient Anne, de ces endroits un peu au milieu de nulle part, des zones périurbaines où il n'y a pas vraiment de centre, des endroits que des promoteurs immobiliers ont essayé de rendre le plus accueillant possible - ce qu'ils sont d'ailleurs, mais il y a quelque chose d'un peu angoissant à l'idée de vivre dans une maison qui ressemble à toutes les autres. Et c'était intéressant qu'Elvira et sa famille soient dans ce genre de domaine, parce qu'elle essaie de coller à un modèle, elle essaie d'être la mère parfaite, elle essaie d'être l'épouse parfaite, de faire comme les autres, mais elle n'y arrive pas. Cet environnement, cette ville un peu artificielle et l'univers visuel qu'on a créé correspondaient complètement à ce qu'il y avait dans la tête d'Elvira. 

    Anne Berest : Fabrice a travaillé en partenariat avec la directrice artistique, Colombe Raby, qui a travaillé sur les films de Xavier Dolan. Ça a donné une importance très grande au travail sur les décors, et à la création d'un univers visuel à part entière. 

    Où la série a-t-elle été tournée ?

    Fabrice Gobert : On a tourné dans toute la banlieue parisienne; on a reconstitué une ville fictive en s'appuyant sur des décors préexistants, en Essonne, dans les Yvelines, dans le Val-de-Marne, dans plein d'endroits. L'idée était vraiment de créer une ville un peu perdue, comme une ville de western dont on a l'impression de ne jamais pouvoir sortir, entourée par les champs et la forêt. Et à l'intérieur on y trouve son hôpital, son école, sa pharmacie, mais on a l'impression qu'on ne sortira jamais de cet endroit.

    Dans une société où on nous demande en permanence d'être transparents et de dire la vérité, au fond la famille est le dernier refuge où le mensonge est possible.

    Justement, par rapport à ce qui se passe dans la tête d'Elvira, la série aborde en toile de fond le sujet de la charge mentale. Comment rester léger en abordant ce sujet, et comment trouver le ton approprié ?

    Anne Berest : On a voulu vraiment travailler sur quelque chose qui soit à la fois de la grande comédie, et en même temps qui soit dramatique. Mais ces deux tons correspondent à la vie ! Il m'est déjà arrivé de m'engueuler très fort avec quelqu'un, et en plein milieu de la dispute la personne va dire quelque chose qui va me faire éclater de rire. Et ça c'est un ton qui est voulu et assumé. Mathieu Demy a beaucoup contribué à ces changements de registre. (rires) Nous n'avons pas fait une série de genre, ce n'est pas du fantastique ou du policier, c'est une série sur une famille, ou on passe sans cesse du rire aux larmes.

    Vous avez écrit plusieurs romans avant Mytho; qu'est-ce qui vous a poussé à développer cette histoire pour la télévision en particulier ?

    Anne Berest : On m'avait proposé d'écrire une série, et j'avais ce sujet-là qui me trottait en tête. J'ai écrit beaucoup de livres sur des femmes, et j'avais envie d'écrire une série qui soit aussi portée par un personnage féminin, mais un personnage féminin ambigu, mystérieux, et qui va se révéler à un endroit dans lequel on ne l'attend pas, parce que souvent les séries se construisent là-dessus. Elvira est à la fois une mère de famille exemplaire, et quelqu'un qui commet un tabou terrible pour sa famille. Les séries reposent beaucoup sur des antinomies de personnages.

    Pourquoi avoir choisi ce titre-concept, très percutant ?

    Fabrice Gobert : Il existait déjà quand je suis arrivé, et je le trouvais formidable. On s'est demandés à un moment si ça ne risquait pas d'enfermer la série dans la thématique du mensonge, mais au fond un mytho c'est à la fois un menteur et un mensonge. Et tous les personnages de la série se rendent compte, comme dans toutes les familles, que tout le monde se ment un peu les uns aux autres, et que chacun se ment aussi à soi-même. Ils sont dans un rapport à la vérité très parcellaire, et ils vivent grâce à ces mythos, en s'arrangeant un peu avec la vie. Je trouvais que c'était à la fois un titre qui claquait bien, et qui rendait justice au propos. C'est très difficile de bien mentir aussi, ils sont tous assez adroits en ce sens...

    Anne Berest : Ce qui me plaisait aussi dans ce titre, c'est que Mytho renvoie au mythe, aux récits, et cette famille-là va prendre peu à peu la dimension de ce qu'on retrouve dans la mythologie grecque - des gens qui se trompent, s'aiment, se détestent... Cette double-entrée du mensonge et de la mythologie. 

    La série est également très juste dans son traitement des enfants d'Elvira, et aussi très inclusive : le personnage de Sam par exemple, qui est transgenre, ne tombe jamais dans la caricature. 

    Anne Berest : C'est difficile d'écrire sur l'adolescence quand nous-mêmes on est plus adolescent. Si c'est bien rendu, alors tant mieux. C'est une vraie gageure.

    Fabrice Gobert : On a eu des comédiens formidables qui ont réussi à incarner ces personnages, qui étaient écrits de manière très précise. Il nous fallait des comédiens qui partageaient cette sensibilité, et tous les trois ont été extrêmement convaincants dans ces rôles parfois proches du romanesque. Ils ne sont pas tout à fait réalistes, mais ils nous parlent quand même. On peut s'identifier aux situations dans lesquelles ils se retrouvent.

    Retrouvez Mytho en intégralité sur le site arte.tv jusqu'au 30 octobre : 

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