Mon compte
    First Love de Takashi Miike : "Je ne veux pas être subversif à tout prix"
    Emilie Schneider
    Emilie Schneider
    -Journaliste
    Amatrice d’œuvres étranges, bizarres, décalées et/ou extrêmes, Emilie Schneider a une devise en matière de cinéma : "si c'est coréen, c'est bien".

    Enfant terrible du cinéma japonais à qui l'on doit notamment "Audition","Ichi the Killer" ou encore l'adaptation du manga "JoJo's Bizarre Adventure", Takashi Miike revient sur les écrans ce mercredi avec la romance pop et violente "First Love".

    Haut et Court

    AlloCiné : Comment vous est venue l'idée de First Love, le dernier Yakuza ?

    Takashi Miike : Je voulais proposer ma vision d'une histoire d'amour ordinaire (rires).

    Le film joue sur les ruptures de ton, c'est à la fois une histoire d'amour, une comédie et un film de yakuzas. Comment êtes-vous parvenu à équilibrer ces éléments ?

    Tout d'abord, ce n'était pas conscient de ma part de trouver un équilibre entre les différents tons du film. Il y a Kase, ce personnage qui essaie de prendre le dessus. Il mène en quelque sorte la narration de la seconde moitié du film. Selon l'acteur qui allait interpréter ce rôle, je crois que ça aurait changé l'histoire. Nous avons choisi Shôta Sometani, qui a un visage poupin. C'est la première fois qu'il joue un personnage de yakuza. Cela l'amusait beaucoup, pas seulement de jouer ce rôle, mais de participer à cette expérience. Son enthousiasme a contribué à rendre ce personnage très amusant.

    Le final est dans un style animé pop-art. Pourquoi ce choix de l'animation et non de l'action live ?

    Tout d'abord, pour des raisons budgétaires (rires). Au Japon, faire un film d'action est très risqué. Donc quand vous écrivez votre scénario, vous avez tendance à le tempérer. Cela mène à une nouvelle génération de cascadeurs qui n'est pas capable de tourner des grosses scènes d'action. Et cela s'applique aussi aux autres membres de l'équipe. Ils ne savent plus comment créer des scènes d'action. Quand j'étais assistant réalisateur, cela faisait partie du tournage que de filmer celles-ci. C'est très ennuyeux de devoir couper des scènes d'action juste parce que nous n'avons pas assez de budget ou pas la capacité de le faire. Quand nous avons eu le scénario, il y avait plein de choses dont nous savions qu'elles seraient difficiles à réaliser mais, en même temps, cela représentait un merveilleux challenge. Je trouve cela important d'essayer des choses nouvelles sur le plateau.

    Haut et Court

    Vous êtes un réalisateur très prolifique. Comment faites-vous pour avoir autant d'énergie et où trouvez-vous l'inspiration ?

    Quand j'étais assistant réalisateur, je soutenais bien sûr la vision du réalisateur. Maintenant, il y a le réalisateur Miike et une sorte d'assistant réalisateur. J'ai spontanément ces deux facettes en moi et elles travaillent ensemble en même temps. Il y a une partie de moi qui se fond totalement dans l'équipe et une autre qui la dirige. Habituellement, les réalisateurs veulent faire est une chose et il y a une autre personne qui tente de transmettre cette vision au reste de l'équipe. Cela peut prendre beaucoup de temps. Mais parce que je suis déjà au coeur de l'équipe, il m'est plus facile d'obtenir ce que je veux. Et bien sûr les acteurs sont inclus dans ce processus. Je sens bien que la manière dont je tourne est plus rapide que celle d'autres réalisateurs. Mais je suis paresseux dans l'âme ! Si on me donnait beaucoup d'argent pour faire un seul film, je n'aurais pas besoin d'en faire autant. (rires) Je plaisante mais en tant que vétéran, je sens qu'un jour on ne me donnera plus de projets à faire, j'en profite.

    Guillaume Gaffiot/Bestimage

    Vous êtes aussi un cinéaste controversé. Que pensez-vous de cette réputation ?

    Ce n'est pas que je veux être subversif à tout prix, c'est une manière très naturelle et organique qu'a mon cinéma de s'exprimer. Évidemment chaque réalisateur veut être vu d'une certaine manière, c'est normal, nous sommes humains. Mais cela n'a rien à voir avec les films. Je crois qu'il nous faut réaliser des films et non pas essayer de contrôler la manière dont les gens nous voient, surtout pas en nous comparant avec d'autres cinéastes.

    Quand Audition a été montré dans des festivals, la réaction du public était "qu'est-ce que c'est que ça ?!". Mais à mes yeux, cette réaction ne m'était pas destinée, elle concernait l'héroïne. Je ne me dis pas "c'est un film de Miike donc mes personnages doivent être comme ça". Les gens ont tendance à m'associer à la violence et j'ai, grâce à ces films, une merveilleuse base de fans. Parfois, je me demande si ces mêmes fans aiment les autres types de films que je fais. Ils doivent penser que j'ai changé, que je me suis vendu. Mais je n'ai pas changé, ce sont mes personnages qui sont différents.

    First Love, le dernier Yakuza
    First Love, le dernier Yakuza
    Sortie : 1 janvier 2020 | 1h 48min
    De Takashi Miike
    Avec Masataka Kubota, Nao Ohmori, Sakurako Konishi
    Presse
    3,1
    Spectateurs
    3,6
    louer ou acheter

    Quel regard portez-vous sur le cinéma japonais actuel ?

    Les gens vont moins au cinéma. Les acteurs ne sont pas juste acteurs de cinéma, ils sont aussi à la télévision, dans des séries ou des émissions. Ils sont très populaires. Et cela attire beaucoup de gens qui veulent être acteurs pour être comme eux. Ceux qui veulent devenir réalisateurs sont plus bizarres et moins nombreux (rires). Cela peut être tragique pour l'industrie cinématographique japonaise mais pour moi, c'est génial car cela veut dire que j'ai moins de concurrents ! (rires) Mais j'aime être stimulé, je voudrais que de nouveaux cinéastes me bousculent. 

    Et justement, quels sont les réalisateurs qui vous inspirent ?

    Ceux qui ont leur propre style, leur propre sensibilité. Ceux qui contrôlent chaque plan qu'ils ont tournés. Je pense que David Cronenberg est incroyable. J'aime les réalisateurs qui ont des qualités que je n'ai pas. Les grands réalisateurs nous enseignent que, même si vous aimez ce qu'ils font, vous ne serez pas capables de faire la même chose, par la simple imitation. Vous devez faire vos propres films. J'admire ces cinéastes mais je ne veux pas les imiter, même si je suis influencé par eux plus ou moins consciemment.

    Propos recueillis à Cannes le 18 mai 2019. Merci à Michel Burstein. Merci à Yoshiko Okura pour la traduction.

    La bande-annonce de "First Love, le dernier Yakuza", actuellement en salles : 

     

    FBwhatsapp facebook Tweet
    Sur le même sujet
    Commentaires
    Back to Top