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    Oscars 2020 : rencontre avec les candidats français côté court métrage
    Brigitte Baronnet
    Passionnée par le cinéma français, adorant arpenter les festivals, elle est journaliste pour AlloCiné depuis 12 ans. Elle anime le podcast Spotlight.

    La France sera doublement représentée côté court métrage cette année aux Oscars, avec "Nefta Football Club", et le film d'animation "Mémorable". Découvrez ces films en intégralité et nos entretiens avec leurs équipes à 15 jours de la cérémonie.

    Vivement Lundi ! / Les Valseurs

    S'il a beaucoup été question des nominations françaises de Ladj Ly pour Les Misérables, de Jérémy Clapin pour le film d'animation J'ai perdu mon corps, et d'Alexandre Desplat pour Les Filles du Docteur March, on sait moins que deux autres films français concourront pour la France, aux Oscars, le dimanche 10 février 2020. La France aura en effet non pas un mais deux candidats dans les catégories courts métrages, en animation et en Live Action : Mémorable de Bruno Collet, film d'animation touchant, à la portée universelle, et Nefta Football Club de Yves Piat, comédie dépaysante et surprenante. Deux films qui sont d'ailleurs également shortlisté pour les César 2020 et dont on connaitra les nominations ce mercredi.

    A 15 jours de la cérémonie, coup de projecteur sur ces deux films : découvrez ces deux courts gratuitement et en intégralité (pour un temps limité), accompagné de nos entretiens avec leurs équipes, qui nous donnent leur état d'esprit à l'approche de la cérémonie, et reviennent sur la genèse de ces projets qui feront briller la France à l'international à la faveur de ce prestigieux événement.

    Mémorable de Bruno Collet

    L'histoire de Mémorable : Depuis peu, Louis, artiste peintre, vit d’étranges événements. L’univers qui l’entoure semble en mutation. Lentement, les meubles, les objets, des personnes perdent de leur réalisme. Ils se déstructurent, parfois se délitent...

    Découvrez le film en intégralité sur ce lien, et ci-dessous, sa bande-annonce :

    Trailer Mémorable from Vivement Lundi ! on Vimeo.

    Entretien avec Bruno Collet, réalisateur, et Jean-François Le Corre, producteur chez Vivement Lundi !

    AlloCiné : Comment avez-vous réagi à l'annonce de la nomination de Mémorable ?

    Jean-François Le Corre, producteur : Ma première réaction, c'est la surprise, parce que le film manquait de notoriété aux Etats-Unis. Le film a eu trois prix à Annecy, en juin 2019, pour sa première. Il a une grande notoriété dans le monde de l'animation. Depuis le mois de juin, il a gagné une quarantaine de prix en festivals.

    En revanche, aux Etats-Unis, le film n'avait pas fait de festivals. Il avait juste gagné un prix du court métrage d'animation au Colcoa à Los Angeles. Donc être short-listé, c'était déjà très bien, car c'était une année forte pour le court métrage d'animation. Il y avait 92 films en lice au départ pour une nomination.

    Je vais utiliser des qualificatifs qui sont un peu plan plan mais c'est exactement ça : c'est le bonheur et la fierté. On connaît les nominations aux César, on en a eu quelques unes, mais les Oscars, ça paraît souvent totalement inaccessible.

    Bruno Collet, réalisateur : Ca représente j’espère une facilité de financement pour monter les prochains films. Je n’attends que ça, que cette nomination soit relayée, soit connue. Ca fait 20 ans que je fais des films et c’est toujours compliqué de trouver des financements.

    L’animation en général, ce sont des films qui coûtent assez chers. C’est long, les décors, la fabrication de marionnettes… On a des budgets assez importants par rapport à la fiction. Ca va ouvrir peut être pas des portes, mais j’espère au moins des porte-monnaie ! 

    C'est votre première nomination aux Oscars en tant que producteur chez Vivement Lundi ?

    Jean-François Le Corre : On a été shortlisté deux fois avec deux courts métrages d'animation. Mais c'est la première fois qu'on est nommés.

    Allez-vous vous rendre à la cérémonie ? Allez-vous en quelque sorte essayer de "capitaliser" sur cette nomination ?

    Jean-François Le Corre : Oui, nous allons partir la semaine qui précède la cérémonie. Il y a des rendez-vous qui sont calés, des diners. C'est un peu fou pour moi. Nous, très clairement, comme on produit plutôt de la télévision en animation, ce n'est pas là bas que ça se joue pour nous en ce moment. Et sur le court métrage, les Etats-Unis n'est pas forcément le pays le plus facile.

    Là bas, quand vous êtes nommés aux Oscars, comme le mail que nous avons reçu lundi dernier, nous devenons une partie de l'histoire.

    Une fois que vous atteignez ce genre de nomination, le court métrage existe comme un film, ça c'est très agréable. Là où en France souvent vous pouvez avoir du mal à faire exister le court métrage même quand vous êtes nommé aux César ou quand vous avez un grand prix à Annecy, ça reste du court métrage. Là bas, quand vous êtes nommés aux Oscars, comme le mail que nous avons reçu lundi dernier, nous devenons une partie de l'histoire.

    C'est vrai ?

    Jean-François Le Corre :  Oui, c'est impressionnant ! Mais ça on l'avait déjà senti avec Sundance. Le réalisateur Bruno Collet avait eu un film – Petit dragon – qui était un hommage à Bruce Lee. Il avait été sélectionné au [Festival de] Sundance. Déjà on avait senti que quand vous atteignez un certain niveau de sélection aux Etats-Unis, on ne se pose pas la question si vous êtes réalisateur d'un court ou d'un long. Vous êtes un réalisateur qui va au Sundance, ou un réalisateur qui est nommé aux Oscars. En France, quand on est réalisateur nommé aux César avec un court métrage, on reste réalisateur de court métrage. Je trouve que c'est vraiment une différence fondamentale, donc on va voir effectivement ce qu'on peut faire comme travail autour de la société et autour de Bruno Collet.

    La stop motion n’est pas facile à produire, l’animation pour adulte non plus, et on sent bien que du côté des plateformes, il y a aujourd’hui peut être plus d’opportunités que du secteur traditionnel en France

    Est ce que vous verriez vous rapprocher d’un studio américain pour essayer de monter un projet ?

    Jean-François Le Corre :  Par rapport à tout ce qui est américain ou nord-américain, je dirai que notre problématique est plutôt de voir comment amorcer du travail avec des plateformes très clairement. Que ce soit Netflix, Amazon, ou HBO Max qui a une ligne éditoriale qui nous intéresse beaucoup car il y a Cartoon Network dedans. Mais est ce que c’est aux Etats-Unis que ça se passe ou plutôt avec les représentants français des plateformes qui sont en train de bien s’installer sur le territoire ?

    Le fait d’être nommé aux Oscars, ça donne de la visibilité à notre société Vivement lundi. Ca place aussi à un niveau d’excellence. C’est quelque chose qu’on va essayer de pousser. Nous avons auss ides projets avec le réalisateur Bruno Collet, donc c’est aussi essayer de voir là-bas. Et aux Oscars, on va rencontrer des gens qui viennent de plein de pays et pas simplement des Etats-Unis. Etre dans cette bulle, dans ce contexte très particulier très gratifiant avec par exemple un partenaire tchèque qui a lui aussi un court nommé aux Oscars. Ca renforce des liens. Je suis aussi intéressé par l’Asie, l’Europe centrale, la Scandinavie…

    Le fait d’être aux Oscars nous permet de renforcer notre identité à l’international au sens large. Les plateformes ont moins de problèmes de format que les chaines traditionnelles. Netflix a déjà commandé plusieurs collections de courts métrages d’animation, ou des séries avec des formats atypiques. Donc ça nous intéresse. La stop motion n’est pas facile à produire, l’animation pour adulte non plus, et on sent bien que du côté des plateformes, il y a aujourd’hui peut être plus d’opportunités que du secteur traditionnel en France. Regardez ce qu’il se passe avec J’ai perdu mon corps. Le film s’est fait sans investissement de diffuseur et c’est Netflix qui achète les droits, et qui devient celui qui capitalise le plus sur le succès de ce film, ce qui est nouveau. 

    Vivement Lundi !

    Pour en venir au sujet du court métrage, qui est très touchant et universel, quel type de retours avez-vous eu ? 

    Jean-François Le Corre :  Ce que l’on ressent depuis sa première, c’est que c’est un film qui plait énormément au public. Pratiquement tous les festivals où le film passe, il gagne le prix du public, et touche des publics très larges. Il a fait un carton au Brésil, en Russie, au Canada, en Australie… Il parle à toutes les cultures. On sent que le film porte cette universalité. Bruno Collet a réussi à faire une vraie proposition de cinéma avec beaucoup d’émotion. L’autre chose qui plait beaucoup, c’est qu’il y a de l’humour ou de l’ironie. Ce n’est pas quelque chose de larmoyant. Ce cocktail lui correspond vraiment car c’est quelqu’un qui oscille entre la comédie et des choses très sombres. Il a réussi à mettre de l’humour sur un sujet grave, et qui touche une quantité de personnes incroyable.

    L’autre découverte, c’est ça : la quantité de personnes qui ont été touchées souvent de près par la maladie d’un proche. L’autre retour qu’on a eu, ce sont des gens qui travaillent avec des gens soit atteints d’Alzheimer soit des gens qui vivent avec des Alzheimer (des kinés, des personnels soignants, des médecins, des neurologues…) et qui nous disent : ce film est d’une intelligence incroyable. Est ce que le réalisateur a eu quelqu’un dans sa famille touché par ça, et l’aurait vécu dans la durée ? Pas du tout ! C’est sur un travail de documentation, et après un point de vue d’auteur, un regard d’artiste.

    Bruno Collet voulait se mettre dans la tête d’un malade d’Alzheimer, et que ce ne soit absolument pas larmoyant. On a des témoignages qui nous disent : c’est d’une justesse incroyable, ce film a compris beaucoup de choses sur le déni notamment, le déni du malade mais aussi des proches, la famille.

    J’aurai voulu que le cinéma d’animation suive le même chemin que la BD ado-adulte. Le public est prêt.

    Idéalement vous aimeriez que tout cela débouche sur un long métrage ?

    Bruno Collet : Je suis en train de me battre depuis 4 ans à essayer de monter un long métrage et c’est très compliqué. Donc si ça peut donner un coup de pouce, j’en serai ravi. C’est un peu tôt pour parler du film mais ce sera un film d’animation ado-adulte comme l’est Mémorable. Mais on a toujours le problème du coût d’un film d’animation et la cible potentielle qui peut aller voir le film en salles, et là il y a une équation qui est difficile à tenir. Les films sont cher et le public risque d’être limité si on est dans des salles art et essai.

    Je pensais qu'il allait se passer un peu la même chose que pour la BD… Quand j’étais petit, on disait : Tintin, c’est de 7 à 77 ans. En fin de compte, Tintin, c’était pour les enfants. Il a fallu attendre le milieu des années 70 et des revues comme Pilote ou Métal Hurlant, pour commencer à traiter la bande-dessinée pour adulte. Maintenant, tout sujet peut être traité en bande-dessinée. Personne ne trouve ça bizarre. J’aurai voulu que le cinéma d’animation suive ce même chemin. Le public est prêt. La jeune génération a été élevée au dessin animé aussi. Ils en sont très friands. Mais on a le problème que le film, ce n’est pas le coût d’une bande-dessinée.

    Le making-of de Mémorable :

    MÉMORABLE le making of from Vivement Lundi ! on Vimeo.

    Nefta Football Club de Yves Piat

    L'histoire : Dans le sud tunisien, à la frontière de l’Algérie, deux frères fans de football tombent sur un âne perdu au milieu du désert. Bizarrement, l’animal porte un casque audio sur ses oreilles. 

    Découvrez le film en intégralité sur ce lien, et ci-dessous, sa bande-annonce : 

    Entretien avec Justin Pechberty et Damien Megherbi, producteurs chez Les Valseurs 

    AlloCiné : Que ressentez-vous ? Vous attendiez-vous à cette nomination aux Oscars ?  

    Justin Pechberty et Damien Megherbi, producteurs de Nefta Football Club : On a travaillé pour. On a commencé la campagne avant. On était prêt pour les deux issues. Ce qu'on ressent, c'est une libération d'abord, car c'est un certain stress. Et puis une très forte joie tout simplement. 

    C'est la combinaison de ce qui paraît être un rêve mais aussi la récompense d'un travail qui remonte à deux ans. Ce film est une longue aventure. Ca vient un peu récompenser tout ça, la vie du film, qu'on a porté en festival, sa fabrication. C'est assez incroyable.

    Un petit mot sur le parcours qu'a fait ce film avant cette nomination. Pouvez-vous me donner quelques chiffres ?

    Le film a remporté un nombre assez incroyable de prix. On doit être à 120 sélections et 70 prix ! Ca fait vraiment un ratio extrêmement élevé. Et surtout ce qui est un marqueur fort pour nous, c'est que le film a remporté plus de 20 prix du public, et c'est un indicateur de la relation qu'il a noué avec le public qui est très forte et dont on s'est rendu compte lors de la première du film qui était au Festival Cinémed à Montpellier. Là, on a compris qu'il se passait quelque chose.

    Le film a remporté plus de 20 prix du public, c'est un indicateur de la relation qu'il a noué avec le public qui est très forte

    Avez-vous prévu de faire campagne ? 

    Oui, bien sûr. Elle a commencé à l'annonce de la shortlist. Il y a eu un mois de travail pour rendre le film le plus visible possible avant le vote. On avait commencé dès septembre avec un premier travail avec une attachée de presse pour essayer de faire exister le film, même si c'est très difficile au début parce qu'il y a beaucoup de films qualifiés. Pour nous, c'était essentiel de profiter de toutes ces fenêtres pour donner de la visibilité. On va se rendre à Los Angeles et rejoindre le réalisateur du film, Yves Piat qui est déjà sur place. 

    Parallèlement à ça, c'est aussi l'occasion de rencontrer toute une industrie qui est fascinante et qui est assez loin de nous aujourd'hui, mais là on a une petite fenêtre. L'idée est de saisir cette opportunité pour lui et pour nous.

    Quel type d'opportunité recherchez-vous justement ?

    La rencontre et la mise en lumière de notre travail auprès des plateformes, c'est un objectif que l'on vise. On peut aussi être amené à développer des projets en coproduction notamment sur le cinéma indépendant, de réalisateurs américains qui pourraient être intéressés de collaborer avec nous.

    La rencontre et la mise en lumière de notre travail auprès des plateformes, c'est un objectif que l'on vise

    On va profiter de notre présence sur place, et du fait qu'on ait un long métrage qui est en sélection à Sundance, dans une sélection parallèle, pour aussi passer un peu de temps dans ce festival. C'est l'un des festivals les plus importants aux Etats-Unis. C'est pour un film franco-uruguayen qui s'appelle La mort d'un chien. Il va faire sa première US fin janvier à Slamdance.

    Les valseurs

    Parlons aussi de la spécificité de ce film, qui est une comédie, genre qui n'est pas forcément très représenté dans les cérémonies comme les Oscars ou les César…

    C'est vrai que c'est assez rare. Je pense que ce n'est pas simple de réussir une comédie.

    C'est un genre qui peut parfois être un peu sous-estimé, ou méprisé. Justement avec ce film, l'idée était vraiment de le situer entre la comédie et un fond qu'on pourrait traiter autrement, de manière plus dramatique, avec une vraie exigence à la fois dans l'écriture mais aussi dans la mise en scène, le choix du comédien, et leur jeu.

    Le dernier film français à avoir remporté un Oscar du court métrage, c'était aussi une comédie, Le Mozart des Pickpockets.

    L'humour peut parfois être difficile à exporter, mais je crois que dans ce film, il y a quelque chose d'un peu universel

    Il y avait également eu un Oscar pour la France pour Omnibus de Sam Karmann, qui était aussi une comédie… 

    Exactement ! Tous les 10-12 ans, il y a une comédie française qui est primée, ce serait bien de s'inscrire dans cette lignée !

    L'humour peut parfois être difficile à exporter, mais je crois que dans ce film, il y a quelque chose d'un peu universel qui a fonctionné tout au long de la carrière du film en festival dans le monde, et actuellement dans la campagne des Oscars. Il y a quelque chose qui touche les gens, un mélange de fraicheur et de maitrise qui parle à tout le monde.

    Vous attendez également une potentielle nomination aux César… 

    Nous aurons la réponse le 29 janvier, jour des nominations aux César. On attend aussi la réponse pour un film d'animation, Guaxuma de Nara Normande, qui a aussi une carrière assez exceptionnelle en festival, qui a eu aussi environ 70 prix.

    Un petit mot sur vos projets dont vous pourriez me parler ?

    En distribution, on a sorti un film ce mercredi, K Contraire, de Sarah Marx avec Sandrine Bonnaire.

    On a un long métrage en projet avec la réalisatrice de Guaxuma, qui est en financement. Ce sera son premier long métrage. On a un long métrage aussi en développement avec le réalisateur avec qui on a gagné le César l'année dernière, Ayce Kartal (réalisateur de Vilaine fille). Et on a un autre long métrage d'animation qui s'adresse aux tout-petits, à partir de 3 ans. C'est un projet que l'on fait avec 6 réalisatrices, qui sortira à Noël 2021, qui s’appelle Le Noël des animaux. Pour les autres projets, c'est trop tôt pour en parler.

    Le court métrage Guaxuma de Nara Normande, présélectionné pour le César du court métrage d'animation 2020 :

    Guaxuma by Nara Normande from Les Valseurs on Vimeo.

    >> Précisons que ces deux courts métrages seront diffusés dans le cadre d'une émission spéciale Oscars de Histoires courtes sur France 2 le 9 février.

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