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    Rouge par son réalisateur Farid Bentoumi : "Face aux dangers environnementaux, il va falloir des résistants"
    Mégane Choquet
    Mégane Choquet
    -Journaliste
    Journaliste spécialisée dans l'offre ciné et séries sur les plateformes quel que soit le genre. Ce qui ne l'empêche pas de rester fidèle à la petite lucarne et au grand écran.

    Thriller réalisé par Farid Bentoumi, Rouge met en scène un conflit père-fille sur fond d'enquête écologique porté par Zita Hanrot et Sami Bouajila. AlloCiné a rencontré le réalisateur concerné et engagé.

    Nouveau film de Farid BentoumiRouge raconte comment Nour, infirmière embauchée dans l’usine chimique de son père délégué syndical, va s’allier à une journaliste pour mener l’enquête sur la gestion désastreuse des déchets, les mensonges de l’entreprise, les accidents dissimulés. Un choix s’impose à la jeune femme : trahir son père et faire éclater la vérité ou se taire.

    Rouge
    Rouge
    Sortie : 11 août 2021 | 1h 26min
    De Farid Bentoumi
    Avec Zita Hanrot, Sami Bouajila, Céline Sallette
    Presse
    3,7
    Spectateurs
    3,5
    Streaming

    Film labellisé Cannes 2020 et présenté au Festival de Deauville, ce drame social, qui fera sûrement penser à Erin Brockovich ou au récent Dark Waters de Todd Haynes, soulève des questions environnementales, éthiques et politiques chères à Farid Bentoumi. AlloCiné a rencontré le réalisateur à Deauville pour évoquer les thématiques du film porté par Zita Hanrot et Sami Bouajila.

    AlloCiné : Avec Rouge, vous changez totalement de registre après Good Luck Algeria. D’où est venue l’idée de ce nouveau film ?

    Farid Bentoumi : Good Luck Algeria traitait de l’identité nationale, qui était un sujet très actuel à l’époque, notamment avec les propos de Nicolas Sarkozy. Aujourd’hui, je pense qu’il faut absolument parler des problèmes environnementaux. J’ai l’impression qu’il y a deux visions qui s’affrontent et j’ai essayé de faire un film où les visions ne s’affrontent plus. Je pose des pistes de réflexion.

    Dans mon film, l’usine pollue, il faut arrêter la pollution mais il faut voir aussi qu’il y a 200 ouvriers qui y travaillent et qui ont des familles à nourrir. C’est un problème très actuel qui va nous concerner pendant de longues années à venir. Fessenheim, quand on décide de fermer une centrale nucléaire parce qu’elle est trop vieille, oui c’était absolument évident. Mais en même temps, il y a toute une ville qui vit de ça, alors qu’est-ce qu’on fait pour ces gens là ?

    C’est très difficile de déménager, de changer d’emploi, de faire une formation quand on a 50 ans. Je pense qu’il faut avoir une action rapide et urgente pour la planète. J’ai essayé de faire un film qui fera réfléchir le public et lui donnera envie de discuter.

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    Vous parliez de Fessenheim, ça vous a inspiré ou est-ce que vous avez puisé dans d’autres affaires ?

    Je me suis inspiré au départ de l’usine Alteo de Gardanne, qui rejette des bouts toxiques dans la Méditerranée depuis longtemps. Il y a eu plusieurs réglementations, le gouvernement a demandé plusieurs fois à ce que l’usine arrête et à chaque fois ils ont repoussé les délais pour des intérêts financiers et industriels. Ils ont eu une telle pression gouvernementale et associative et cette pression a finalement payé. Je pense que faire un film là dessus, ça peut aider à faire bouger les choses.

    Après, en partant de là, j’ai aussi beaucoup lu, je me suis documenté pendant plus d’un an et demi sur plusieurs histoires de lanceurs d’alerte. Le personnage de Zita Hanrot dans le film s’inspire de plusieurs lanceurs d’alerte. C’est très difficile quand on travaille dans une entreprise, qu’on en dépend financièrement et qu’on connaît tous les employés de lancer l’alerte. Il y a des histoires terribles de lanceurs d’alerte qui ne sont pas du tout protégés.

    Cette lanceuse d’alerte (Zita Hanrot) fait face à un obstacle supplémentaire puisque son père, campé par Sami Bouajila, travaille dans cette usine. Les deux acteurs sont impressionnants de justesse dans cette relation père-fille aimante et conflictuelle. Comment se sont passés le travail et le tournage avec eux ?

    Mon père était ouvrier, il bossait à l’usine donc c’est un milieu que je connais bien. Il était aussi syndicaliste donc j’ai connu l’engagement avec lui toute ma jeunesse. Le personnage de Sami s’inspire de lui, de ses combats et c’est vrai qu’on le voit s’engager pour les autres. Sami est comme ça aussi et il s’immerge avec passion dans des personnages qui ont des choses à dire et à défendre.

    Zita est très instinctive, généreuse, elle vit les scènes et ne joue pas les choses. C’est le genre d’actrices qui se fait mal parfois parce qu’elle donne tout ce qu’elle a et qu’elle est à fleur de peau. La combinaison des deux, qui ont réussi à dialoguer avec force, était superbe. Quand j’ai travaillé avec eux, je ne voyais plus Sami et Zita, je voyais le père et la fille.

    Et puis surtout, ce sont des bosseurs. Zita arrivait sur le tournage en connaissant son texte par cœur avec son script qu’elle avait annoté. Sami était très impliqué aussi, il pose beaucoup de questions et cherche des renseignements. Ils sont très concentrés sur leurs rôles et s’y plongent avec passion et ça se voit à l’image. L’image vole des choses.

    Quand j’écris un film, surtout un film politique et engagé, je me dis que je dois être irréprochable.

    Vous avez toujours ancré une approche du réel dans votre cinéma et là avec Rouge, vous abordez l’écologie et le milieu ouvrier mais vous évoquez également les souffrances du milieu hospitalier et les mesures de sécurité, notamment le masque, sur les chantiers. Même si vous avez écrit le film bien avant la crise sanitaire, on peut dire qu’il colle vraiment à la réalité du moment...

    En fait, quand j’écris un film, surtout un film politique et engagé, je me dis que je dois être irréprochable. C’est-à-dire que je ne peux pas écrire un personnage d’infirmière sans faire lire le scénario à une infirmière. J’ai donc fait lire le scénario à une infirmière, un journaliste, une journaliste, mon oncle syndicaliste, etc.. Je fais lire à des professionnels qui auront des remarques pertinentes et justes.

    J’ai discuté avec des lanceurs d’alerte aussi, pour qui j’ai énormément de respect. Se dire que des gens sont prêts à sacrifier leurs vies pour faire stopper quelque chose qu’ils n’acceptent plus, qu’il ne veulent plus voir, pour changer les choses, c'est fort. J’admire leur courage, leur héroïsme semblable aux résistants. Face aux dangers environnementaux qui nous menacent, il va falloir des résistants.

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    Quand je visite une usine, je pose mille questions sur ce qu’il s’y passe et les problématiques. Quand je fais un film, je me documente beaucoup, je retravaille tous les dialogues. Je ne me sens pas autorisé à écrire sur un personnage du réel sans avoir d’avis de professionnel.

    J’ai besoin d’être hyper carré et du coup quand on est curieux des gens, qu’on leur pose des questions, je pense que derrière on écrit un film et des dialogues qui sont dans l’actualité. Et ça se ressent dans Rouge, avec le contexte sanitaire que l’on traverse et les dernières nouvelles de catastrophes écologiques.

    On a tourné dans une usine très propre, où les salariés font partie du conseil d’administration et ils ont un autre regard sur l’usine pour en faire un lieu de travail sain. J’ai aussi discuté avec un patron qui se bat pour son usine même s’il est un peu corrompu. J’avais besoin d’avoir tous les sons de cloche. Ce qui était important pour moi sur ce film, comme dans Good Luck Algeria, c’est de montrer que tout le monde a ses raisons.

    Moi, j’ai un regard de réalisateur qui ressort dans le film et qui est plutôt du côté de la lanceuse d’alerte. Mais tout le monde a ses raisons, l’employé et le patron. Quand on pense aux raisons de chacun, quand on voit un panel, on comprend mieux. J’ai envie en tout cas d’aider à la réflexion et d’aider à la discussion. De dire "l’autre pense différemment, je peux peut-être essayer de le comprendre" et inversement "je comprends son point de vue mais je vais essayer de lui expliquer le mien".

    Propos recueillis par Mégane Choquet le 12 septembre 2020 à Deauville.

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