Une critique plutôt enthousiaste, un nouveau film de James Gray pour effacer la déception de "La Nuit nous appartient", voilà deux bonnes raisons pour me convaincre d'aller voir quand même "Two Lovers", malgré mon goût modéré pour les comédies romantiques, genre auquel je rattachais ce film suite à une lecture un peu hâtive du pitch. De ce point de vue, j'ai été rassuré dès la première scène : dans une lumière blafarde, Leonard avance d'un pas chancelant sur une jetée de Brighton Beach, avant de se jeter dans l'eau. Ramené au sec par des sauveteurs qu'il remercie à peine, il rentre chez lui, ou plutôt chez ses parents qui en le voyant trempé comprennent qu'il a remis ça...
D'emblée, tant du point de vue formel que du point de vue narratif, James Gray installe une tension, comme une menace qui plane sur ce que va vivre Leonard. Tout ce que fait cet ado trentenaire ressemble à l'avancée d'un funambule sur un fil ondulant, et la caméra hésitante ainsi que la photographie exsangue soulignent cette vulnérabilité. Très vite, on apprend qu'il souffre de troubles bipolaires, pour lequel il prend des comprimés. Bipolaire, c'est aussi ainsi qu'on peut définir son parcours sentimental durant le film, entre Sandra la compréhensive, qui semble s'excuser des manigences de leurs parents, et Michelle la dépressive qui l'entraine dans son tourbillon où elle n'a pas prévu de place pour lui.
Comme "Little Odessa" situé dans la communauté ukrainienne, comme "The Yards" situé parmi les familles maffieuses du métro new-yorkais, comme "La Nuit nous appartient" situé dans le milieu des flics du N.Y.P.D., "Two Lovers" s'inscrit dans la vie bien particulière d'une communauté, ici celle des ashkénazes de Brighton Beach, et Bar Mitzvah et Rosh Hachana rythment le récit. Comme toujours chez James Gray, l'appartement familial est un personnage à part entière, évocant celui de sa grand-mère à Sandra et le parfum de l'enfance à Michelle, avec les portraits des ancêtres qui intimident les amants.
Ce cadre familial et communautaire oppressant, le sentiment de danger qui enveloppe Leonard, tout cela le pousse vers l'imprévue, celle qui symbolise la liberté, mais aussi le rêve impossible, cette voisine qu'il épie à travers sa fenêtre sur cour. Certes, derrière la sash-window de Michelle, pas de macchabée réel, mais le cadavre métaphorique des espoirs de ce Tanguy involontaire, embauché pour jouer le terzo incomodo et oublié à la porte d'une boîte de nuit.
Pour ce qu'il annonce comme son dernier rôle, Joaquin Phoenix s'adapte une nouvelle fois au propos de James Gray, avec lequel il tourne pour la troisième fois. Avec sa démarche en perpétuel déséquilibre, ses sourires gênés et ses emportements adolescents, il donne vie à un personnage qui représente au delà de la boursouflure fictionnelle une part de chacun de nous.
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