Après le Londres de Blow Up en 1966, Antonioni continue à témoigner de la réalité de son temps et part filmer la société américaine des années 70. Contestations étudiantes, racisme, violences, omniprésence policière, posent le décors d'une société qui oppresse et aliène les individus. Toujours très attaché au thème de la déshumanisation à l'oeuvre dans la société occidentale, Antonioni porte un regard ironique sur l'Amérique et inhabituellement politisé chez ce cinéaste. On lui a alors reproché de faire une démonstration trop explicite, simpliste et de dresser un portrait caricatural de l'Amérique. Un procès à mon sens injuste, non seulement parce que la caricature n'en n'est pas vraiment une, mais qu'en plus, Antonioni use d'un humour salvateur qui libère le propos de toute lourdeur. Qu'elle soit révolutionnaire ou ancrée de plein pied dans le système, la jeunesse apparaît comme perdue, et rêve d'un ailleurs que la société ne lui autorise à atteindre que par l'imagination et l'art. Pour éprouver réellement cet ailleurs, qui n'est autre qu'un mélange de vie, d'amour et de liberté, Daria et Mark choisissent l'évasion hors de la société, en plein coeur de la Vallée de la mort. C'est au cours de cette errance hypnotique au milieu d'un désert magnifié par la caméra d'Antonioni, qu'éclate la première révolte fantasmée de Daria: une ode à l'amour fou, à l'extase sexuelle et sensuelle donnant lieu à une scène fabuleuse, d'une poésie visuelle extrêmement vibrante et justifiant à elle-seule le visionnage du film. Puis, comme à son habitude, Antonioni nous gratifie d'une séquence finale époustouflante: une vision fantasmée de l'explosion de la société, véritable chorégraphie de la destruction qui scotchera littéralement le spectateur à son fauteuil. Moravia expliquait qu'il s'agissait là d'un final prophétique, la vision eschatologique d'un feu moraliste. 30 ans après, l'actualité redonne sens à cette analyse. Et 30 ans après, Zabriskie Point reste un chef d'oeuvre.