Décidément, Michael Haneke affectionne les sujets durs, déshumanisants, qu'il traite avec une austère froideur chirurgicale. Fallait-il aller aussi loin dans la démonstration de cette fin de vie que de Gaulle appelait un "naufrage" ?... D'emblée, le réalisateur autrichien nous fait pénétrer dans l'intimité d'un vieux couple, dans l'intimité de leur vie d'octogénaires, la monotonie des habitudes, le temps qui s'étire. En quasi huis-clos, leur appartement parisien nous devient familier, la cuisine, le salon, les fauteuils... et puis la chambre. Cette chambre dans laquelle va de plus en plus se borner la vie d'Anne, son reste de vie. Toute l'impuissance du mari, toute la douleur contenue chez elle et lui suintent de chaque mur, de chaque pièce. Entre les deux, une excellente Isabelle Huppert. Elle campe ici Eva, leur fille à l'amour maladroit, complètement overbookée, absorbée par sa propre vie. On l'a dit, Emmanuelle Riva est remarquable de justesse dans son rôle de femme élégante et cultivée dont la maladie fait subitement basculer l'existence vers un état léthargique proche du légume. Malgré son statut de grand acteur, j'ai toujours eu plus de mal avec le jeu de Trintignant. Quelque chose me retient dans sa façon d'être à l'écran, de parler, qui fait qu'il n'est jamais parvenu à totalement m'emballer. Il interprète Georges, l'époux attentif, attentionné mais dépassé, un époux lui aussi usé par l'âge, brutalement sollicité sans relâche auprès d'une épouse dépendante, emmurée dans un corps qui ne répond plus. Lent processus de dégradation de la mémoire qui flanche et des sphincters qui lâchent. Déchéance inexorable. Et au bout du bout du chemin, un oreiller, une dernière étreinte, comme un ultime geste d'amour. Beau, triste, sans concession.