Encouragé par la progression de sa trilogie de la glaciation, l’autrichien Michael Haneke finit par arriver à un stade où son cinéma symbolise l’abstrait. Il aura beau cadrer des personnages bien vivants et bien réels, rien n’en ressortira plus que son thème. Ici, le temps est aux honneurs et il parvient à filmer cette notion si impartiale, si naïve et si cruelle qu’on en reste effondré. Rien de mal à cela car on préfère relativiser cette fable de la vie chez un couple qui s’aiment et qui malgré la distances qui s’installe entre eux, continuent à faire l’effort pour ne jamais s’éloigner de l’autre.
Concernant ce qui a été dit précédemment, le temps prédomine bien le métrage, par sa puissante force pesante. Cependant, les personnages sont ici pour accentuer son effet à la fois néfaste et instable, ce qui perturbe le visionnage en un bon point. Le spectateur impatient n’aura de cesse que de faire la rétrospective de ce qu’il y trouve à l’écran, presque inerte. La lenteur des scènes, accompagnées de plans fixes interminables, le force ainsi à répondre aux questions et à la fresque morale qui se tient là, juste sous ses yeux. Georges (Jean-Louis Trintignant) et Anne (Emmanuelle Riva) sont désormais en retraite et profitent de ce qu’ils ont semés derrière eux. Il s’agit de leur fille ou bien d’un élève qui a découvert la notoriété et la noblesse de la musique classique. On en revient à cette mélodie qui retentit de temps à autres, non pas comme un rythme qui bourdonne d’un lyrisme passionnel, mais comme un souvenir qui s’échappe. Il ne faut pas chercher bien loin afin de comprendre que la subtilité n’a pas obligatoirement sa place dans cette poignante mise en scène.
Coupons la musique et observons comment le comportement danse sans repères. Théâtrale par moment, le couple se distingue par le mal-être et une distance physique. Leur classe sociale y est pour quelque chose mais le plus modeste des maris prendrait au moins la peine de réconforter sa femme, dans la souffrance et la douleur qu’elle éprouve. Elle détient la clé, le sentiment que la séparation est imminente, mais elle n’a plus la force de combattre. Ils utilisent peu de mots pour décrire leur relation et leur geste suffit à démontrer ô combien ils comptent l’un sur l’autre. Les personnages secondaires viennent confirmer ce que nous savons déjà de déchirant dans une histoire bien maîtrisée. Ces derniers révèlent une facette humaine qu’est la fuite. Ils évitent de regarder du bon côté car leur premier réflexe est de fuir la dureté de la réalité qu’ils affrontent. Georges, au contraire, conditionne l’intimité de son couple aux extérieurs qui laisse le huis-clos se refermer sur la plaie qu’il a lui-même ouverte, en laissant l’amour s’emparer de son âme.
Trois ans après sa Palme d’Or pour son incroyable « Le Ruban Blanc », Haneke ne freine pas et dans un élan de patience et de vertige, il séduit la foule. Sa dernière exposition est une grande réussite sur tous les continents, car son message universel transcende également les tranches d’âges. Qu’importe le spectateur, pourvu qu’il ressente un petit quelque chose, il ne peut qu’adouber la virtuosité d’un récit sensible et attentionné. Il revient avec « Amour » pour nous indiquer qu’au-delà nos soupçons, nos maladresses et nos divergences, il n’y a pas d’âge pour s’aimer et il n’y a aucune condition qui puisse nuire à la complémentarité de deux êtres extraordinaires.